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LE PEUPLE CHINOIS ET LA RÉFORME.

nous laissait l’ennemi essoufflé lui-même de ses incessantes attaques, se trouvait l’élite de ces hommes dont une longue résidence en Chine a fait comme autant d’oracles en toute question chinoise. Ils ne causaient pas tous, mais quelques-uns parlaient ; et ils auraient pu en vérité, forts de leur longue expérience et de leurs observations, trancher du prophète, car, pendant plus de quatre semaines, toute communication fut interrompue entre les légations et le reste du monde. Or, pour eux, l’insurrection des Boxeurs n’était que le prélude d’une longue période de révolution dans l’empire du Milieu : elle devait déterminer enfin ce soulèvement en masse, longuement attendu, de la race conquise contre la race conquérante. Chinois contre Mandchous, — évolution naturelle vers l’émancipation dont quelques-uns depuis des années veulent voir partout les signes précurseurs.

Ce fut, comme on le sait, tout le contraire qui arriva ; les premières nouvelles qui nous parvinrent dans les légations furent l’objet d’une surprise générale : sur les dix-huit provinces, seize avaient gardé le calme le plus parfait ; la Mandchourie mandchoue avait étourdiment suivi le mouvement, mais la Chine propre s’était abstenue ; la puissance des vice-rois et la fidélité de la race chinoise à l’Empereur avaient sauvé la situation : elles n’avaient jamais brillé d’une façon aussi éclatante, elles avaient préservé la Cour contre les terribles conséquences de l’insigne et inepte folie des princes mandchous eux-mêmes ; les vice-rois voulaient bien reconnaître que le gouvernement avait quelques torts, mais ils tenaient par-dessus tout à en dégager deux personnalités, l’Empereur et l’Impératrice douairière ; et c’est presque sur un ton de menace qu’appuyés sur le peuple chinois ils s’opposaient de toutes leurs forces à une entreprise étrangère quelconque contre la Cour. Nos oracles s’y étaient trompés eux-mêmes : malgré ses défaillances et ses erreurs, malgré sa honte devant l’étranger et sa misère devant son peuple, la dynastie mandchoue ralliait à elle tous les partis ; aux yeux de la nation, elle n’avait rien perdu de sa puissance ; et aujourd’hui même, si on y regarde de près, rien ne le prouve plus éloquemment que cet édit aux termes tranchans dans lequel le représentant du pouvoir mandchou inflige une véritable flagellation publique à tout son corps administratif chinois en lui reprochant ses abus et son incapacité, et en rejetant sur lui tout le blâme de cette situation écrasante.