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certains monopoles détenus par les particuliers, le triomphe de la liberté religieuse et de la tempérance, enfin l’affranchissement de la littérature américaine délivrée des superstitions coloniales qui ont gêné jusqu’ici son essor. » Il ne se fait point d’illusions ; pendant de longues années encore l’Amérique sera tributaire de l’Europe, pendant des années encore elle ira y chercher, comme faisait Robinson Crusoé sur le navire naufragé, ce qui est nécessaire à sa subsistance, mais le navire naufragé serait effacé depuis longtemps de la mémoire des hommes s’il n’était pas survenu de Robinson. Soyez vous-même ! Fiez-vous à votre tempérament.

— Osez ! — Ce sera le dernier mot que Thomas Wentworth Higginson criera au pays dont il s’est efforcé toute sa vie de diriger et d’éclairer le jugement.

Il n’aura aucun repos, ni en ce monde ni dans l’autre, avant que ne se soit dissipée l’ombre de l’Angleterre qui pèse toujours sur l’Amérique. L’émancipation sera complète alors et le réformateur pourra dormir en paix, en murmurant peut-être enfin, il nous le laisse pressentir, le conseil suprême que le vieux poète Spenser donne à sa Britomart. Quand elle entra dans le palais enchanté, Britomart trouva inscrit au-dessus de quatre portes successives : « Osez ! Osez ! Osez ! Osez ! »

Sur la cinquième seulement elle lut :

« N’osez pas trop ! »

Précepte utile, dit Higginson, mais secondaire et subordonné à l’autre.


TH. BENTZON.