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elle-même. Étranges, ces souvenirs du passé, en présence de cette admirable ville, sans cesse embellie par le percement de nouvelles avenues.

Un bal d’étudians : les jeunes filles sont assez modestement mises ; leurs cavaliers dansent avec cette grâce et cette agilité merveilleuse qui n’appartiennent qu’aux jeunes Français. »

A la Chambre : Higginson est placé parmi les membres du corps diplomatique. Il remarque que quelques députés écrivent des lettres, mais il ne voit pas de journaux. Le bruit est égal à celui qu’on entend au Congrès à Washington, sauf qu’on ne bat pas des mains pour appeler les pages. Quand les députés s’excitent on se croirait dans la cage des lions.

Le président sonne, et rétablit le calme ; s’il mettait son chapeau la séance serait suspendue. Tout cet orage est provoqué par le général Borel, un gros homme, à face rouge, toujours à moitié ivre, assurent les radicaux, qui se tient les bras croisés, prêt, dirait-on, pour un coup d’État. A première vue on découvre combien plus profondes qu’en Amérique sont en France les différences entre les partis puisqu’elles concernent ouvertement l’existence même de la république. Il n’y a pas de femmes à la Chambre, même comme spectatrices, mais elles peuvent bien être cachées quelque part. Higginson est surpris de voir les femmes tellement moins au courant des affaires politiques et de tout en général que les hommes. Dans une crémerie où il a pris un bol de « bouillon bourgeois, » à vingt-cinq centimes, la femme qui le servait lui a demandé si l’on parle allemand en Amérique, tandis que son mari connaissait l’histoire de Christophe Colomb, quoiqu’il fût en blouse...

J’en resterai là, sans suivre M. Higginson à la fête donnée au Cirque américain en l’honneur de Jean-Jacques, ni au banquet qui a lieu à Belleville pour célébrer la prise de la Bastille et où le général de Wimpffen reçoit une chaleureuse ovation ; on lui sait gré apparemment d’être venu, car depuis la Commune, l’armée française est tout entière du côté des conservateurs...

Ce qui précède suffit, il me semble, pour édifier le lecteur sur l’incertitude des jugemens du Nouveau monde à notre égard. Sans doute, les nôtres, quand il s’agit de lui, laissent bien souvent à désirer, mais pourquoi nous reprocher l’erreur de Voltaire démolissant Shakspeare, quand Racine n’est compris nulle part en pays anglo-saxon ? Pourquoi relever dans le dictionnaire