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car il avait eu l’occasion de rencontrer beaucoup d’Anglais à Cambridge ; les plus distingués d’allure et de manières parmi eux ne lui avaient pas paru supérieurs à certains gentlemen de Boston, de Philadelphie ou de la Virginie, et il devait garder cette impression après les avoir vus chez eux, tout en constatant d’autre part que le sang latin produit souvent, même aux derniers rangs de la société, des types d’élégance dont on ne trouverait pas l’équivalent dans la race saxonne. A Newport affluaient des étrangers de tous pays, des souverains parmi eux, l’empereur du Brésil et sa femme, une Bourbon. « En réfléchissant à ce que ce nom avait signifié pendant des siècles d’obscurantisme et de tyrannie, je fus tout saisi de penser que je me trouvais assis sur le même canapé qu’une de ses représentantes, causant tranquillement avec elle. »

Ici le Huron (comme l’entend Voltaire) montre le bout de l’oreille. Il y a quelquefois un « ingénu » chez Thomas Higginson et plus souvent encore un provincial. Je sais bien que de ce provincialisme il se vante volontiers, sous prétexte que le provincialisme américain, qui est du patriotisme local, n’a aucun rapport avec celui qui peut exister dans la petite ville française, un Tarascon imaginaire, où le notaire, le médecin et quelques petits rentiers se livrent quotidiennement au commérage en même temps qu’à la partie de dominos. La ville de province américaine du même rang n’est peut-être pas plus grande, mais elle a déjà ses écoles et sa bibliothèque publique, elle aspire à un musée, à un conservatoire. Confondre ces deux extrêmes, c’est comme si l’on confondait l’enfance du nouveau-né et celle du vieillard, l’une représentant toutes les promesses et l’autre une parfaite décrépitude. Eh bien ! n’en déplaise à M. Higginson, il témoigne du provincialisme de Tarascon, tout autant que d’aucun autre, lorsque, au début de ses impressions sur « Londres littéraire, » il écrit : « Mon premier devoir en arrivant fut de vérifier ma position et de découvrir ce qu’on pensait de nous. »

Presque tous ses arrêts sont fondés en effet sur ce que tel ou tel pense des Américains ; Tennyson les redoute, il les trouve envahissans ; aussi est-il présenté sous un aspect peu sympathique et même un peu ridicule, avec la négligence affectée de ses vêtemens et de sa barbe qui lui donnent l’air d’un bandit corse, tenant fort à la flatterie sans mélange et considérant