Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/640

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’humble femme, je ne regrette plus rien à cause des belles paroles qu’il a pu prononcer pour la liberté. Même à présent il doit être content parce qu’il sait que la Providence réglera tout pour le mieux.

Dans cette famille où en quinze jours sont arrivés quatre messages de mort, sans parler de l’arrestation du père et du supplice ignominieux qui l’attend, on exerce l’hospitalité avec calme. Higginson doit le lendemain emmener la mère qui espère revoir une fois encore son mari, et, en grande hâte les jeunes femmes font les préparatifs nécessaires. Elles cousent autour de la table. On lui montre le daguerréotype d’un tout jeune homme, presque un adolescent, Olivier, un de ceux qui furent tués à Harper’s Ferry. La veuve d’Olivier, une blonde de seize ans, travaille avec les autres, pas un muscle de son visage ne frémit, sa main ne tremble pas en tirant le fil. Et il n’y a là ni dureté, ni orgueil, ni espérance de gloire. Tout cela est étranger aux Brown. Leur état d’âme serait difficilement compris ailleurs qu’en pays de puritains. A propos d’eux, Higginson cite le mot de Carlyle à un Français auquel il expliquait la persécution subie par les covenantaires d’Ecosse :

— Ces pauvres gens, monsieur, en appelaient...

— A la postérité, interrompt le Français.

— Point du tout, ils en appelaient au Dieu éternel.

Les Brown sont du même acabit. L’idée ne leur vient pas de demander à Higginson, le premier étranger qui soit entré chez eux depuis qu’y est tombée la foudre : — Que dit-on ? Que pense-t-on ?

Une seule question :

— Croyez-vous que la cause de la liberté gagne ou perde à sa mort ?

Le mot de principes est celui qui revient le plus souvent dans la conversation. Les Brown croyaient leurs amis de Harper’s Ferry invincibles, parce que ces gens-là avaient tous « des principes, » qu’ils s’efforçaient de bien vivre.

Chez eux absence complète de colère, d’esprit de vengeance. Higginson leur lit les journaux qu’il apporte et qui reproduisent l’interrogatoire avec les réponses si simples, si droites, quelquefois si fières, par exemple au juge qui demandait :

— Étiez-vous parti sous les auspices de la Société de secours aux émigrans ?