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raconte comment il dut tout le premier troubler l’ordre, résister à la loi, à la police, à l’armée, qui figuraient du mauvais côté et qualifiaient de devoir des actes détestables. Les leçons de boxe qu’avait prises le Révérend ne lui furent pas inutiles. Sous les verrous d’un cachot, où du reste il passa peu de jours, Higginson se consolait en se répétant à lui-même les paroles de Lamennais : « Il manque toujours quelque chose à la plus belle vie qui ne finit pas sur le champ de bataille, sur l’échafaud ou en prison, » On le relâcha, Théodore Parker n’ayant même pas eu besoin de prononcer le plaidoyer qu’il avait préparé pour le défendre.

Worcester, la seconde paroisse de Higginson, était devenue un foyer de propagande abolitionniste. Son église libre rendit de grands services à la cause ; souvent la maison du ministre recela des nègres poursuivis, parmi eux, une jeune femme de couleur, que l’on aurait prise pour une jolie brune plutôt que pour une mulâtresse, et dont les enfans étaient parfaitement blancs. Mère et enfans arrivèrent à Worcester par les soins de la société anti-esclavagiste de Boston. Placée pour le voyage sous la protection d’un marchand de l’endroit, fort opposé à l’abolition et qui ne se douta jamais qu’il avait violé la loi en l’escortant, la fugitive passa tout un hiver auprès des Higginson. Cette esclave, particulièrement intéressante, était la fille de son ancien maître, et son demi-frère, auquel à grand’peine elle venait d’échapper, était le père de ses enfans. Elle avait de bonnes manières, une attitude modeste et, mariée ensuite à un commerçant des environs de Boston, disparut finalement dans la masse de la population blanche.

Les traits que Higginson cite pour prouver l’immoralité, la cruauté de l’esclavage, ne sont jamais des tragédies exceptionnelles et nous impressionnent d’autant plus. Il reconnaît, ayant visité le Sud où il avait des parens, que beaucoup d’esclaves étaient humainement traités, mais il cite ce mot d’un nègre qui semblait heureux entre tous chez ses maîtres : « C’est bon tout de même de pouvoir respirer librement ! ... » Et aussi l’histoire de la petite fille en robe rose, achetée au marché de Saint-Louis par un planteur qui la choisit comme il ferait d’un écheveau de fil. Le marchand disant d’un air de bonne humeur : « Déshabillez-la, voyez vous-même, je n’ai pas de secrets pour mes cliens. » Et le brave planteur, venu s’acquitter sans malice d’une commission