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habité Cambridge qu’il importe de faire connaître aux gens qui s’imaginent que toutes les villes américaines sont plus ou moins taillées sur le patron de Chicago. Avec le défunt docteur Holmes et le professeur Norton, qui maintenant représente la plus haute culture, le colonel Higginson a droit au titre d’Enfant de l’Université. Il naquit à Cambridge où s’était retiré son père, ruiné par l’embargo de Jefferson, cette suite funeste de la situation difficile que faisait à la marine et au commerce des États-Unis la guerre entre la France et l’Angleterre. Le riche négociant de Boston, connu pour ses largesses et sa philanthropie, était devenu tout simplement économe à Harvard, car il s’agissait de faire vivre ses dix enfans. Dans cette situation modeste, il garda les amis de sa prospérité, et Mrs Higginson continua de rassembler autour d’elle un cercle de beaux esprits, véritables fondateurs de la littérature américaine.

La ville académique de Cambridge, qui compte aujourd’hui plus de 70 000 habitans, n’en avait pas alors 3 000, mais elle était déjà le centre du savoir et de la pensée ; avec grande raison, Thomas Higginson considère comme une faveur du sort de pouvoir identifier ses premiers souvenirs à une région limitée, — par conséquent caractéristique. Pour se développer à souhait, un écrivain n’a qu’à observer les hommes, à contempler la nature, à respirer l’atmosphère des livres ; or les hommes sont intéressans, la nature est belle à Cambridge, et la bibliothèque, où il faut s’être roulé tout petit, pénétra de sa magique influence l’enfant attentif qui, tout en jouant, prêtait l’oreille à la lecture des chefs-d’œuvre. Élevé par une mère, une tante, des sœurs éminemment distinguées, le jeune Thomas grandit sans avoir jamais soupçonné les désavantages intellectuels qui ont longtemps pesé sur les femmes, jusqu’au jour où certaine dame, savante entre toutes, énuméra en sa présence les luttes, les efforts, au prix desquels, malgré l’opinion et malgré l’usage, elle avait acquis l’instruction d’un homme. Son cœur se souleva aussitôt contre ce qui lui semblait une injustice cruelle et, avant même la naissance du féminisme, cet enfant de[ quinze ans devint féministe passionné.

Il était passé de l’enseignement des femmes à l’école d’un professeur d’origine anglaise qui préconisait, avant tout, les exercices et les châtimens physiques. Le maître ne lâchait jamais un rotin qui s’abattait volontiers sur le dos de ses élèves ; si l’on