Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/617

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divertissant de choses qui l’eussent exaspéré naguère et prenant tout en bonne part. Une femme à son mari : Tiens ! voilà une maison où il n’y a point de lampions ! C’est quelque aristocrate. — Aristocrate, soit ! dit le mari, même Jacobin ; aujourd’hui, tout le monde est libre ; on ne tue plus les gens pour leurs opinions[1]. Un ouvrier à sa femme, en montant sur sa boutique pour poser des lampions : C’est que c’te victoire donnera la paix ! La femme : C’est que c’n’est plus comme ces avocats qui ne faisiont la guerre qu’avec leu plume ; tiens, mets encore ces deux-là[2]. » Le soir, le faubourg Antoine, par l’éclat de son décor lumineux, par les feux de joie flambant sur toutes les places, parut le grand centre de clarté : « Les faubourgs, disait la police, partagent avec transport l’ivresse générale[3]. »

Le triomphe officiel vint ensuite, mais ne fut décerné ostensiblement qu’à la République seule et aux armées. On l’avait fixé au 26 messidor, c’est-à-dire au 14 juillet ; tous les ans, à pareil anniversaire, il y avait fête nationale ; on convint d’y joindre cette année la présentation des drapeaux conquis en Allemagne et en Italie, plus la solennité promise à l’occasion des résultats du plébiscite et de la pacification intérieure, et de réunir le tout sous ce titre : « Fête de la Concorde. »

La fête commença le 25 au soir par l’inauguration du quai Desaix, par cet hommage rendu au grand mort dont le souvenir demeurait inséparable de ces jours d’orgueil. Le lendemain, dès le matin, le canon se mit à tonner d’heure en heure, répandant dans l’air une solennité. Le soleil de messidor s’élevait splendide, la journée s’annonçait brûlante ; elle serait très chargée. Quatre cérémonies figuraient au programme. A neuf heures, le préfet Frochot, entouré de son personnel, posa sur la place Vendôme la première pierre du monument dédié aux braves du département de la Seine. A onze heures, place de la Concorde, on posa la première pierre de la colonne nationale, élevée à la gloire de toutes les armées. Les Consuls en grand costume rouge et or, les états-majors., les corps constitués assistèrent à cette cérémonie, où Lucien, ministre de l’Intérieur, officia selon le rituel accoutumé. Ensuite et vivement, Bonaparte à cheval, entraînant avec soi ses deux collègues et les ministres également montés,

  1. Rœderer, VI, 411.
  2. Ibid.
  3. Rapport de police, 13 messidor. Archives nationales, AF, IV. 1329.