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V

A Paris, les manifestations de la joie publique durèrent plusieurs jours. Les divers cultes y prirent part et rendirent à Dieu de solennelles actions de grâces. Si l’on veut savoir quelle force le sentiment religieux avait repris en France, il faut lire le rapport de police rendant compte du Te Deum chanté le 5 messidor à Notre-Dame et du tumultueux incident qu’il occasionna :

« La cérémonie qui a eu lieu hier à Notre-Dame avait attiré un concours immense de citoyens. Le temple, le parvis et les rues adjacentes contenaient à peine la multitude qui s’y était portée en foule. Pendant le Te Deum, deux dragons sont entrés dans l’église le casque sur la tête. Cette imprudence a excité quelques murmures d’abord, qui auraient eu des suites dangereuses, si les commissaires de police, les officiers de paix et les inspecteurs envoyés par le préfet de police pour maintenir l’ordre et la tranquillité générale ne se fussent portés sur-le-champ vers le point où la querelle paraissait s’engager et n’eussent conduit ces deux militaires au corps de garde du Petit-Pont. Ils furent à la vérité suivis par une foule considérable et à laquelle ils eurent peine à résister. Pour éviter tout motif de querelle, pour étouffer dans son principe tout germe de discussion, le commissaire de police fit sortir du corps de garde et à l’aide d’une échelle les deux dragons et les envoya à l’état-major. Un piquet de cavalerie dissipa le rassemblement, et, à neuf heures du soir, il n’était plus question de rien. On ne peut se dissimuler que le Te Deum annoncé dans Paris depuis deux jours avait un peu monté les esprits et qu’il se soit trouvé dans Notre-Dame des hommes marquans parmi les factieux[1]. »

A demi instruit des agitations tentées et des intrigues ourdies pendant son absence, Bonaparte précipitait son retour. A peine s’était-il donné le temps d’organiser sa conquête ; il avait hâte de retourner à Paris, de s’y montrer, de recueillir en popularité, en prestige, en force, les fruits de sa victoire. Mais il avait trop d’habileté et de fierté pour agréer les platitudes officielles, les témoignages outrés, les manifestations de commande ; il écrivait

  1. Rapport de police, 6 messidor. Archives nationales, AF, IV, 1329.