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d’attente, des groupes de sénateurs, de tribuns et de législatifs se formaient ; les ambassadeurs arrivaient de leur côté, en grand uniforme, solennels et réservés. Au dehors, la cour était remplie de citoyens attirés par la curiosité, l’inquiétude, la crainte, et une angoisse silencieuse pesait sur cette foule. Un courrier cependant vient d’arriver aux Consuls ; qu’annonce-t-il ? Victoire ! Un second, un troisième arrivent et confirment le mot qui fait rentrer sous terre toutes les intrigues : Victoire ! Un beau nom de victoire : Marengo.

Les ministres et conseillers d’État avaient été introduits dans le cabinet des Consuls ; quelqu’un lisait à haute voix le bulletin de l’armée de réserve, le bulletin célèbre du 26 prairial-15 juin, et il semblait que l’on assistât aux péripéties de la journée. « L’ennemi avançait sur toute la ligne, faisant un feu de mitraille avec plus de cent pièces de canon. Les routes étaient couvertes de fuyards, de blessés, de débris ; la bataille paraissait perdue. » Mais Desaix a pris position en avant de San-Giuliano ; le Premier Consul ranime le moral des troupes : « Enfans, souvenez-vous que mon habitude est de coucher sur le champ de bataille ! » Vive la République ! Vive le Premier Consul ! Desaix aborde l’ennemi au pas de charge et par le centre. Puis, c’est Kellermann et sa grosse cavalerie donnant à plein dans l’ennemi, hachant la colonne du général Zach et le faisant prisonnier ; Bessières et ses hommes, les casse-cous, les grenadiers à cheval fonçant à leur tour, tous les Français revenant à la charge et achevant la culbute de l’armée autrichienne, et quinze drapeaux, quarante pièces de canon, six à huit mille prisonniers nous restant, mais au prix de quelles pertes ! Desaix n’est plus ; il est tombé à la tête de sa division, percé d’une balle, et voici la scène poétisée, arrangée pour l’effet à produire, avec des mots antiques : Desaix tombant : « Allez dire au Premier Consul que je meurs avec le regret de n’avoir pas assez fait pour vivre dans la postérité ! » Bonaparte : « Pourquoi ne m’est-il pas permis de pleurer ! » Des pièces jointes signalaient l’immensité des résultats, l’armée autrichienne rejetée dans Alexandrie et capitulant, l’Italie libre jusqu’au Mincio, et la lettre du Consul à ses collègues se terminait par ces mots : « J’espère que le peuple français sera content de son armée. »

La salle des audiences consulaires fut ouverte ; sénateurs, tribuns, diplomates se précipitèrent, au-devant de Cambacérès et