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devant la justice réparatrice de Bonaparte, s’étant incliné devant Barras ?

La question se posait pour quatre des anciens fructidorisés, Pastoret, Fontanes, l’abbé Sicard et Barthélémy, et elle se compliquait d’une difficulté légale. La loi du 3 brumaire an IV, charte organique de l’Institut, avait fixé limitativement le nombre des membres à 144 ; la réintégration des proscrits le porterait à 148, chiffre illicite. L’Institut biaisa et prit un moyen terme. Réuni en séance plénière, il décida que Pastoret, Sicard, Fontanes et Barthélémy seraient obligatoirement renommés aux quatre premières places vacantes et qu’en attendant ils auraient droit d’assister aux séances. Cette façon de les mettre à la suite ne leur parut pas compatible avec leur dignité. Dans une lettre très mesurée, ils repoussèrent la demi-réparation qu’on leur offrait. Saisi de leur lettre, l’Institut s’assembla de nouveau ; la séance fut à tel point troublée de violences qu’elle parut renouveler les orages parlementaires. De Liste de Salles réclama un vote au scrutin secret sur cette question de principe : « Un membre de l’institut, légalement élu, peut-il être privé de sa place ? » Malgré un noble discours de Legouvé, « une majorité passionnée » réclama bruyamment et fit prononcer la question préalable. Quelques membres ayant ouvert l’avis de s’adresser aux pouvoirs publics pour qu’ils tranchassent la difficulté, la réunion crut devoir passer à l’ordre du jour. Ces résolutions furent vivement critiquées, et un journal, l’Ami des lois, lança contre l’Institut une furieuse diatribe.

L’Institut étant corps constitutionnel, partie intégrante de l’État dont il faisait l’une des puissances et l’une des gloires, Cambacérès et Lebrun jugèrent à propos de sévir ; sur rapport du ministre de l’Intérieur, le journal fut bel et bien supprimé. Le plus curieux est que Bonaparte, instruit de ces incidens, désapprouva la mesure de rigueur et donna très spirituellement à ses collègues, à ses ministres, une leçon de libéralisme. Il persistait à ménager la presse, l’opinion, et au fond tenait-il à ce que l’Institut, ce parlement d’idéologues, avec lequel il se sentait déjà en sourd désaccord, fût déclaré intangible ? Il écrivit donc aux Consuls pour déclarer l’Institut supérieur aux attaques et par cela même tenu de les négliger ; dans sa lettre pleine de désinvolture, il est difficile de ne pas voir un chef-d’œuvre de malicieuse hypocrisie :