Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/599

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Paris, le coup droit au Consul, l’attaque à main armée se ruant sur sa voiture et sabrant son escorte.

Il est vrai que, dans le courant de floréal, Fouché saisit les papiers de l’agence anglo-royaliste, découvrit ce nid de conspirateurs et opéra d’importantes captures. Le fil de la trame était de nouveau rompu, mais d’invisibles mains se présentaient aussitôt pour le renouer. Cadoudal, revenu de Londres en Bretagne, où il préparait un soulèvement général, insistait pour que l’on reprît à Paris l’idée du coup essentiel[1] ; il sentait déjà comme une démangeaison d’y mettre lui-même la main, l’envie de s’en aller avec quelques hommes « promener sur le chemin de la Malmaison[2]. » Il prenait contact par émissaires avec les débris de l’agence, tâchait de les revivifier, offrait un renfort de Chouans à insinuer dans la ville. Bonaparte, sans bien connaître son danger personnel, apprenait peu à peu, par de significatifs indices, que l’insurrection de l’Ouest avait conservé ses cadres, une partie de ses armes, et pouvait reprendre, par les chefs, ascendant sur les campagnes. Comme l’ouverture imminente des hostilités contre l’Autriche attirait aux frontières la presque totalité des armées, il se mit alors à ruser avec le péril intérieur. Par de bons traitemens, il tâchait de se donner prise sur les chefs bretons et angevins attirés et restés à Paris, sur Bourmont notamment, dont l’influence dans le Maine demeurait grande. Il lui laissait promettre par Fouché des complaisances, des tolérances, des ménagemens pour sa clientèle provinciale ; plus tard, il avouera lui-même ce jeu à Bourmont : « Je traite la politique comme la guerre, j’endors une aile pour battre l’autre[3]. » L’aile à endormir, c’était l’Ouest royaliste ; l’aile à frapper, c’était l’Autriche, dont les armées bordaient le Rhin et les Alpes.

Le 16 floréal-6 mai, avant le jour, il descendait l’escalier des Tuileries, enveloppé de sa cape grise, et se jetait dans une berline de poste qui, en vingt-quatre heures, l’emporterait à Dijon. Dans la journée, Cambacérès, chef d’Etat suppliant, annonça au Conseil d’État le départ de Bonaparte et ajouta que son absence

  1. Lettre citée par M. de Martel, la Pacification et l’attentat du 3 nivôse, 212.
  2. Propos cité par Chassin, la Pacification de l’Ouest, III, 622.
  3. Précis d’une conversation entre Bonaparte et Bourmont, rédigé par Bourmont ; M. le duc de la Trémoille vient de publier ce beau document, qui fait partie de ses archives.