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assises tant de fois séculaires : « Quand notre origine se perd dans la nuit des temps, pourquoi consentirions-nous à ne dater que d’hier ? L’antiquité pour les nations est un sujet d’orgueil, et cet orgueil-là est bon, car la raison l’approuve. »


II

Bonaparte laissait les mœurs, les croyances, les habitudes, les modes, durement comprimées par le dogmatisme révolutionnaire, reprendre peu à peu leur niveau. Il admettait cette réaction du bon sens ; il n’en admettait pas encore d’autre. Fouché avait toute liberté pour rassurer les amis de la Révolution, par des circulaires véhémentes, contre la prédominance d’aucun culte, contre le retour des émigrés. La liste des émigrés avait été close législativement ; on s’occupait de l’épurer, un immense travail de radiations commençait ; le matin, au rez-de-chaussée des Tuileries, Joséphine recevait les survivans de l’ancien régime et devenait leur providence, mais Bonaparte, tout en se gardant avec eux et même avec les agens discrets du Prétendant d’imperceptibles contacts, maintenait ostensiblement la rigueur des principes. Il faisait dire dans le public : « Lui aussi, il est Jacobin dans le sens des émigrés et des partisans des Bourbons, » il l’est contre ceux « qui ont divorcé avec la France[1], » et, en réalité, il « craignait de trop faire pour les émigrés[2]. »

Sur divers points d’administration et de gouvernement, il n’était d’ailleurs pas fixé. Où il était ferme et constant, c’était dans l’idée d’attirer à soi tous les hommes qui depuis 1789 avaient participé un moment à la vie nationale, quels qu’eussent été ensuite leurs égaremens ou leurs malheurs ; c’était d’employer, parmi ces patriotes, quiconque pouvait utilement collaborer au grand œuvre, et d’opérer d’un bout à l’autre des partis le prélèvement des capacités. Les proscrits de toutes les catégories et de toutes les époques avaient été rappelés. Après les fructidorisés, Paris revoyait les libéraux de la Constituante, promptement

  1. Brochure anonyme intitulée : Entretien politique sur la situation actuelle de la France et sur les plans du nouveau gouvernement. L’auteur, Marc-Antoine Jullien, publia sa brochure après une conversation avec Bonaparte, dont il donne le compte rendu sous forme de dialogue.
  2. Eclaircissemens inédits de Cambacérès.