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cette porte et de sa résignation, soit qu’elle s’ouvre sur ce que le chrétien a tant de fois rêvé, soit qu’elle mène à ce « néant tranquille de la mort où l’homme se reposera du néant troublé de la vie. » Une autre époque n’eût pas inspiré ces figures et il est douteux qu’elle les eût comprises. Sans costumes qui leur assignent une date, les figures de M. Bartholomé appartiennent clairement à notre temps, à une période de l’humanité.

Ce que M. Bartholomé a su faire dans Monument aux Morts, nos statuaires ne peuvent-ils donc le tenter, lorsqu’ils glorifient la vie ? Ne peuvent-ils trouver des gestes, des attitudes qui témoignent particulièrement des travaux, des émotions de l’homme moderne ? Faut-il donc un uniforme pour distinguer un médecin d’un orateur, comme il en faut un pour distinguer un artilleur d’un cuirassier ? Et nos grands hommes contemporains n’ont-ils pas de gestes et d’attitudes qui leur soient propres, par où la sculpture puisse exprimer leur modernité ? S’ils en ont, que la statuaire l’exprime, et s’ils n’en ont pas, qu’avons-nous besoin de statuaire ? Qu’on fasse leur biographie, mais non leur statue ! Qu’on dresse un monument à leur idéal, à la chimère de leur vie, quitte à imprimer, au piédestal de ce monument symbolique, un médaillon représentant leurs traits ! Le médaillon gravé par M. Roty suffirait, par exemple, à un monument à Pasteur, tandis que, sur le piédestal, l’artiste dresserait la figure de ce que rêva ou ce qu’accomplit Pasteur. Quelle figure ? dira-t-on. C’est à l’artiste de la concevoir. Et peut-être n’est-ce point une chose facile que de montrer, par exemple, la Science luttant avec la Mort, mais assurément le résultat en serait moins incertain et moindres les chances de ridicule que de vouloir ennoblir la redingote ou rendre épique le haut de forme du savant.

Considérons les figures symboliques de Puvis au grand amphithéâtre de la Sorbonne, par exemple, la philosophie spiritualiste et la philosophie matérialiste : il serait facile de mettre sous ces figures des noms de philosophes contemporains. Pourquoi le sculpteur n’obéirait-il pas à une même inspiration et, lorsqu’il a quelque philosophe contemporain à immortaliser, ne dresserait-il pas sur son monument une de ces figures qui sont sculpturales, à la place du savant qui ne l’est pas ? L’honneur serait-il moindre pour le grand homme, parce qu’on ne verrait pas son gilet ? Ce qui est précieux chez un savant ou un philosophe, c’est sa découverte ou sa pensée. Ce n’est pas la coupe de ses