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galbe d’un beau bras dressé pour assurer l’équilibre de l’amphore. — ni une intention qui vaille un pli souple tombant de l’épaule aux pieds de la plus humble statuette de Tanagra !


IV

N’y a-t-il donc aucun moyen pour le sculpteur de représenter l’homme moderne et doit-il nécessairement, s’il veut rendre honneur à un contemporain : chimiste, ingénieur ou psychologue, lui donner les muscles du Discobole et la pose de l’Apollon ? Ce n’est assurément pas nécessaire, ni même souhaitable. Mais autre chose est la conformation, le geste, l’attitude, les inflexions d’un savant moderne, qui lui sont imposés par ses préoccupations, par ses travaux, par ses émotions, autre chose sont ses cols, ses cravates, ses vestons, ses pantalons, ses bottines, qui pourraient être tout autres, quand l’homme aurait les mêmes travaux, les mêmes soucis, les mêmes émotions, et qui ne lui sont imposées que par son tailleur. Il ne faut pas confondre les caractéristiques de la vie moderne avec les artifices inutiles et incommodes qui coïncident avec la vie moderne. Celles-là sont inévitables et influent sur la musculature même de l’homme : c’est-à-dire sur ce qui est sculptural en lui. Ceux-ci sont tout arbitraires et n’influent que sur son aspect le plus superficiel.

S’il était vrai que le costume moderne est suffisant et nécessaire à révéler ce qu’a de particulièrement sensible, affiné, nerveux, inquiet, méditatif, notre contemporain devant les grands problèmes de la vie, sans doute faudrait-il dire que le peuplé de statues endimanchées qu’on voit au Campo-Santo de Gênes donnent une idée plus juste de l’homme moderne que les figures sans vêtemens et sans date de l’admirable Monument aux Morts de M. Bartholomé... Personne ne le dira. Il y a, dans ces figures rampantes ou suppliantes, dressées ou prosternées : A l’entrée du Mystère, au Père-Lachaise, une anatomie particulière, des inflexions, des gestes que difficilement l’Antiquité ou la Renaissance eussent imaginées. Tout y est oublié de ces pompeux désespoirs où les statuaires funéraires du XVIIIe siècle déployaient la gloire des draperies, la délicatesse des dentelles, la science du squelette : tout y a disparu de ces honneurs auxquels « il ne manque que celui à qui on les rend. » Au contraire, tout y témoigne bien de la méditation de l’homme moderne devant