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selon la forme du corps humain. Tel est le cas du plus beau de tous : le vêtement antique. Seulement, c’étaient des vêtemens sans forme aucune. La draperie antique est amorphe. Elle n’est rien par elle-même et doit tout à la nature de l’être qu’elle recouvre. Un voile léger, une calyptre jetée à terre est sans forme comme une nappe d’eau, mais, posée sur la tête d’une femme, tombant sur les épaules, sur les seins et jusqu’aux pieds, elle devient plastique infiniment. Comme cette même nappe d’eau tombant du haut d’un rocher, rebondissant en lignes courbes, s’étalant en vagues, se réduisant en longs filets liquides, semblables à des plis, se nouant et se dénouant comme deux cordes parallèles qu’un mouvement concentrique rapproche et sépare, se rejoignant comme des œils de plis, descendant par larges nappes, puis tombant droit aux pieds comme une averse de plis parallèles et se répandant en gros bouillons tout autour de la déesse, puis, lorsqu’elle a trouvé son équilibre, demeurant toute plane sur le sol comme une eau tranquille qui ne bouge plus : telle est la draperie antique.

Étant amorphe, elle peut devenir plastique ; étant une, elle est infiniment variable. Le corps ne fait pas la plus légère inflexion sans que le reflet en tressaille dans tous les plis. Toute statue antique ne porte pas dans le pli de sa toge la paix et la guerre, mais toute y porte l’image du corps humain. Ce ne sont pas seulement les expressions prévues par Quintilien qu’elle donne : qu’un homme en toge lève doucement le bras, ce mouvement créera derrière lui une multitude de plis, comme le mouvement du vaisseau crée le sillage. Qu’au contraire, un homme en redingote le lève deux fois plus haut : la ligne inférieure de la jupe n’oscillera même pas. A peine, autour de l’épaule, se fera-t-il une légère grimace, une-patte d’oie. Le mouvement sous une draperie, c’est une pierre jetée dans l’eau : jusqu’aux extrémités, des frémissemens concentriques à la surface indiquent le mouvement qui s’est produit. Le mouvement dans un vêtement ajusté, c’est une pierre tombant dans du sable. Là où il se produit, il y a une légère perturbation, peut-être un froncement d’étoffe : c’est tout.

Un artiste ingénieux peut exagérer ce froncement, il peut coller le tissu au corps pour le mouler comme a fait M. Marqueste dans son Victor Hugo, ou, au contraire, en faire flotter les extrémités pour l’animer ; il peut imposer à son héros, — savant.