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un chimiste, un escrimeur ou un poète qui entre dedans. Sa gloire est dans son indifférence pour le personnage qu’il recouvre et dans son imperturbabilité.

Ce contraste apparaît jusque dans le geste que fait l’homme pour se vêtir. Comparez un Arabe qui se drape avec un Européen qui entre dans son paletot. L’un fait un beau geste circulaire, souple, simple, conforme à la dignité du corps humain. L’autre est tenu à une série d’efforts lamentables et ridicules. Il débute par lancer un bras en l’air, puis l’autre, en se jetant désespérément dans ses manches ; ensuite, courbant l’échine et imprimant à tout son être une secousse de bas en haut, il semble un oiseau lourd qui s’essaie à prendre son vol ou un nageur inexpérimenté qui se noie. Cet infime détail marque nettement la différence entre les deux costumes. L’homme antique dispose son vêtement sur lui. L’homme moderne est obligé de se disposer lui-même au gré de son vêtement. Quoi d’étonnant si celui-ci est si peu vivant ?

Si M, Paris a réussi à faire vivre les lignes de l’habit de son Danton, du boulevard Saint-Germain, ce n’a été qu’en exagérant formidablement le geste du tribun. Encore maniait-il un habit plus souple que le nôtre. Avec la redingote ou le veston, il eût dû renchérir encore sur l’agitation du Danton. De par la rigidité de son enveloppe, le grand homme moderne est tenu de se livrer à de violentes pantomimes aussi peu conciliables avec le vrai caractère de la statuaire qu’avec celui de ses pacifiques occupations.

Monotone, immuable, artificiel, le vêtement contemporain est donc quelque chose de très particulier dans les annales du costume. Avant lui, tous les costumes dont l’art s’est servi suivaient d’assez près les proportions du corps humain, comme l’armure du Coleone de Verocchio ou celle du Saint-Georges de Donatello, ou bien ils n’avaient pas de proportions du tout. Ce que celui-ci a de neuf, c’est qu’il n’est ni modelé sur la forme humaine comme le costume de la Renaissance, ni dépourvu de forme comme le voile antique, et que, n’étant pas ajusté au corps, n’étant pas un « juste-au-corps, » il est cependant anthropomorphe à sa manière, et que, s’il-ne donne pas du tout l’idée d’un homme fait par la nature, il donne cependant celle d’un « bonhomme » dessiné par un couturier.

Sans doute, on a vu de beaux vêtemens qui n’étaient pas construits