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crête ou s’enfoncer un creux, non pas pour représenter une saillie ou un creux qui existent actuellement dans la réalité, mais pour susciter une ligne de lumière ou une tache d’ombre. En un mode grossier, cette sorte d’exécution est très marquée dans l’ancienne sculpture française sur bois[1]. »

C’est presque une définition de M. Rodin, et c’est bien la définition d’un artiste, comme c’était bien d’une intention d’artiste qu’était sortie l’ébauche du Balzac. Et c’est ce même homme, si peu timide, si prompt aux innovations, qui, aujourd’hui, ayant à représenter deux contemporains, bien loin de chercher l’impossible dans le vêtement moderne, a enveloppé l’un, le Balzac, d’une draperie, et a dépouillé l’autre, le Victor Hugo, de tout vêtement.

Si nous passons sous la voûte noire qui conduit au grand hall vitré, voici qu’au sortir de ce tunnel se dresse dans la lumière la statue d’Alphonse Daudet par M. de Saint-Marceaux. Là encore nous voyons qu’au lieu d’affirmer les lignes particulières du vêtement contemporain, l’artiste les a dissimulées. Une large couverture drape les jambes jusqu’au torse ; la tête émerge seule clairement, le col rabattu suit l’inflexion du buste. Partout un modelé très doux atténue, émousse la géométrie des lignes et enveloppe comme d’un nuage le peu qu’il en laisse apercevoir. Ce marbre, lui aussi, est dans sa forme générale assez monumental. Nous ignorons si ceux qui ont connu Daudet y retrouvent sa physionomie, mais ceux, beaucoup plus nombreux, qui l’ont lu y retrouvent la physionomie de son œuvre, ce qu’il y a en elle de fin, de triste, de souffrant et de rêveur, et c’est bien ainsi qu’on veut qu’ait apparu l’auteur de Jack et de Trente ans de Paris, et personne ne se plaindra que, dans cette œuvre d’un sentiment si moderne, le vêtement contemporain soit dissimulé.

Il l’est encore dans la pierre tombale du président Faure, par le même artiste. Là, ce sont les drapeaux russe et français unis par la main du mort qui ont servi à draper plus amplement la figure, bien que les lignes insupportables de l’habit se laissent voir trop nettement. A côté, M. Dalou a drapé le plus qu’il était possible sa statuette de Lavoisier. Plus loin, dans un projet en plâtre d’un monument à deux industriels, il n’est pas jusqu’à

  1. John Ruskin. The Seven Lamps of Architecture, chap. V, § 21.