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de tout son être, se contenant du reste dans la plus scrupuleuse réserve[1]. »

Suivant une autre version, l’entrevue ne se serait cependant pas bornée à ce dialogue des yeux. Le Duc de Bourgogne serait entré à l’auberge. Il y aurait pris un repas. Fénelon, comme le voulait l’étiquette, lui aurait tendu la serviette, et le prince lui aurait dit à voix assez haute pour être entendu de tout le monde : « Je sais ce que je vous dois, et vous savez ce que je vous suis[2]. » C’est du moins ce que rapporte le cardinal de Beausset, d’après Proyart, mais nous nous méfions un peu de la scène et du propos, qui paraissent arrangés après coup. Quoi qu’il en soit de ce détail, une chose est certaine : c’est le retentissement de cette entrevue, dont le spectacle avait attendri la foule, qui occupa Versailles, et qui fit courir en Europe le bruit d’un rappel prochain de l’archevêque. « Les gens qui songeoient à l’avenir, dit Saint-Simon, prirent depuis leur chemin par Cambray, plus volontiers que par ailleurs, pour aller et revenir de Flandre. » Mais Fénelon n’avait pas été dupe de ce retour de faveur. Il avait au contraire bien compris ce que les conditions imposées par le Roi décelaient de mauvais vouloir persistant, car, le jour même, écrivant à Mme de Montberon, cette pénitente agitée dont il s’efforçait de calmer lame scrupuleuse, il lui disait avec mélancolie : « J’ai vu aujourd’hui même, après cinq ans de séparation, Mgr le Duc de Bourgogne ; mais Dieu a assaisonné cette consolation d’une très sensible amertume. Je n’ai aucun plaisir qui ne porte sa croix avec lui… Ce qui parait un adoucissement n’en est pas un. Mais il faut prendre chaque chose comme elle vient et se soumettre sans réserve à la Providence[3]. »

Cependant le Duc de Bourgogne, courant toujours la poste, arrivait à Bruxelles le 27. Il n’y passait qu’un jour et en repartait aussitôt pour rejoindre au camp de Santen l’armée dont il devait prendre le commandement. Nous l’y retrouverons très prochainement.


HAUSSONVILLE.

  1. Saint-Simon, Écrits inédits, t. IV, p. 458-459.
  2. Cardinal de Beausset. Vie de Fénelon, t. IV, p. 70.
  3. Œuvres de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VIII. P. 615.