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pu croire que cette grande question de la succession d’Espagne, dont la diplomatie européenne préparait depuis si longtemps le règlement, se résoudrait en effet pacifiquement, quoique d’une façon toute différente de celles qu’avaient successivement stipulées les différens traités de partage. Les puissances européennes semblaient se résigner à cet accroissement de l’influence française. Les petits États, l’un après l’autre, reconnaissaient le nouveau roi d’Espagne. Le duc de Savoie s’était exécuté le premier, nous savons avec quels sentimens. Le duc de Mantoue, l’Électeur de Cologne, et, ce qui était plus important, l’Électeur de Bavière, sans parler d’autres petits princes de moindre importance, avaient suivi son exemple ; le Portugal, également. L’Angleterre et les Provinces-Unies hésitaient encore, mais l’opinion publique, singulièrement puissante dans ces deux pays, en Angleterre surtout, était hostile à la guerre, et voyait une garantie de paix dans l’acceptation du testament de Charles II. Guillaume d’Orange en frémissait de rage. « L’aveuglement de ce peuple est incompréhensible, écrivait-il à Heinsius… Tout le monde ici me presse avec instance pour que je reconnaisse le roi d’Espagne, et, n’ayant rien à démêler avec ce monarque ni avec la nation, je ne prévois pas que je puisse le différer bien longtemps, » et Heinsius, qui partageait ses sentimens d’hostilité contre la France, lui répondait : « A vrai dire, le grand motif est ici le même qu’en Angleterre, c’est-à-dire l’intérêt présent des marchands, et, pourvu que celui-ci soit à labri, peu leur importe que nous hasardions notre avenir[1]. »

Seul l’empereur Léopold jetait feu et flammes contre le traité et menaçait de faire valoir par les armes les droits de son fils l’archiduc Charles. Mais cette situation n’avait pas tardé à se modifier. L’Europe, que Louis XIV n’avait pas su assez ménager, devenait peu à peu méfiante. L’opinion anglaise, que Guillaume III travaillait habilement, continuait bien de préférer l’acceptation du testament à l’exécution du traité, mais elle commençait à redouter cette « Monarchie universelle » à laquelle le roi de France lui semblait toujours suspect d’aspirer. Les marchands d’Amsterdam, de leur côté, ne voyaient pas sans inquiétude pour leur commerce la mainmise de la France sur les ports qui

  1. Lettres de Guillaume à Heinsius, des 16 novembre et 14 décembre 1700. Lettre de Heinsius, du 14 janvier 1701. Voyez Sirtema de Grovestins, Guillaume III et Louis XIV, t. VII, p. 403.