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le spectacle d’une fête populaire sur la Saône, et ils se divertirent à voir des jeunes gens sauter dans l’eau pour tâcher d’attraper des canards. « Les Princes ne purent s’empêcher de rire et perdirent un peu de leur sérieux, sans sortir de la majesté qu’ils ont toujours gardée durant leur voyage[1]. »

Sauf quelques réceptions improvisées à Mâcon et à Dijon, ces fêtes furent les dernières. Peut-être nous y sommes-nous un peu trop appesantis, et le détail en paraîtra-t-il monotone. Mais, quand on lit, dans les lettres de Duché de Vancy et surtout dans les numéros du Mercure, le long récit de toutes celles qui furent offertes aux Princes depuis Paris jusqu’à Lyon, parfois dans d’assez petites villes, il est difficile de s’abstenir de deux réflexions. La première, c’est que les dépenses que les villes ou les bourgeois eux-mêmes s’imposaient, de plus ou moins bon cœur, si l’on veut, étaient considérables, et qu’il ne leur aurait pas été possible d’y faire face, si l’état financier des villes n’eût été prospère et si les bourgeois eux-mêmes n’eussent joui d’une grande aisance. Quel que pût être leur désir de plaire, les villes n’auraient pu élever des arcs de triomphe ou tirer des feux d’artifice, ni les bourgeois se vêtir de drap cramoisi, si les moyens de payer leur eussent fait défaut. Au commencement du XVIIIe siècle, la richesse publique et privée ne laissait donc pas que d’être assez grande en France, et, si elle commençait à fléchir, il s’en fallait encore de beaucoup qu’elle fût profondément atteinte. « On périssait de misère au bruit des : Te Deum, » a écrit Voltaire en parlant de la guerre qui a précédé la paix de Ryswick. C’est là une hyperbole d’homme de lettres. En tout cas, les maux de la guerre avaient été vite réparés, et la misère n’était pas l’état général de la France.

La seconde réflexion, c’est qu’à ces fêtes se mêlait partout un élément populaire qui en augmentait la gaîté et que le menu peuple, comme on disait alors, s’y taillait sa part, sans qu’on essayât de l’en empêcher. Nous avons déjà vu, dans certaines circonstances de la vie de Cour, comment, sous le coup de quelque émotion générale commune à la famille royale et au peuple, l’étiquette abaissait ses barrières et laissait tous les rangs se confondre : ainsi à Versailles, au moment de la naissance du Duc de Bourgogne, à Sceaux, au moment du départ du roi

  1. Mercure d’avril, t. II, p. 143.