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comme pour leur cacher à demy les lieux où leurs regards étoient attachés et fit marcher le carrosse pour les en éloigner encore davantage, mais chacun garda dans son cœur l’idée des chers objets qu’il venoit de perdre de vue. »

Ce ne sont point là exagérations de nouvellistes. Les frères s’aimaient en effet tendrement, et nous verrons s’établir entre le Duc de Bourgogne et Philippe V une correspondance affectueuse à laquelle nous ferons des emprunts. La douloureuse séparation effectuée, le voyage reprit son cours, le Duc de Bourgogne devant gagner Marseille en passant par le Languedoc, et opérer ensuite son retour par le Dauphiné, le Lyonnais et la Bourgogne. C’était un véritable tour de France. Depuis la séparation d’avec le roi d’Espagne sur qui les regards s’étaient principalement portés jusque-là, le Duc de Bourgogne devenait le principal personnage, mais le ton de son journal n’en est point changé. Des honneurs extraordinaires qui lui sont rendus, des démonstrations qui éclatent sur son passage, il semble n’avoir nul souci. Il demeure toujours aussi sobre d’impressions personnelles, aussi minutieux et précis dans ses observations. La plus brillante réception fut celle que lui offrit la ville de Toulouse. « On avoit résolu, dit le Mercure, de ne point ménager les deniers publics[1]. » A Bordeaux, le Duc de Bourgogne avait été reçu par les Jurats, A Toulouse, ce fut par les Capitouls, car les représentans des franchises municipales portaient plus d’un nom sous l’ancien régime, et cette variété d’appellation était le symbole de leurs libertés. Cinquante-cinq compagnies des Arts et Métiers et huit compagnies de bourgeois avaient été levées dans les cinq capitoulats qui composaient la ville. Les hommes étaient habillés « les uns de rouge, les autres de drap gris blanc doublé d’écarlate, avec des culottes et des bas rouges et chapeaux galonnés d’argent[2]. »

Le Duc de Bourgogne entra par le faubourg Saint-Cyprien, les glaces de son carrosse étant baissées, afin qu’il pût être mieux vu du menu peuple. La réception dura plusieurs jours. Rien n’y manqua : harangues, épîtres en vers, distiques latins, hommages de l’Académie des Jeux floraux, illuminations. Ces fêtes avaient attiré à Toulouse une affluence extraordinaire, et la vie matérielle y fut, pendant quelques jours, assez difficile. « On fut, dit le Mercure, fort satisfait des manières honnestes de MM. de Toulouse et

  1. Mercure de mars 1701. p. 222 et suiv.
  2. Ibid., p. 242 et suiv.