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la localité se couvraient de gloire, parfois même les épîtres en vers latins. Les trois princes écoulaient harangues, épîtres et madrigaux avec une inépuisable patience, ne perdant pas leur sérieux quand quelque incident burlesque, par exemple, le manque complet de mémoire de l’un des harangueurs, venait, comme à Orléans, jeter de l’imprévu dans la cérémonie.

Quant aux banquets, il semble que là surtout la distance de prince à peuple devait se faire sentir, puisque non seulement personne ne s’asseyait à la même table qu’eux, mais puisque la différence du rang empêchait le roi d’Espagne et le Duc de Bourgogne de manger ensemble. Mais voir manger les princes était le grand divertissement du peuple, et on n’avait garde de le lui refuser. On laissait la foule envahir la salle où le repas des princes avait été préparé. Ceux qui n’avaient pu pénétrer adossaient des échelles contre la muraille et se collaient aux fenêtres. Là où les dimensions de la salle le permettaient, on avait soin d’élever à l’avance des gradins afin que chacun pût voir, comme dans un cirque. Quand l’exiguïté du local rendait impossible cette disposition, parfois des accidens se produisaient. C’est ainsi que, dans une petite ville, la presse devint telle qu’au moment du dessert la table fut renversée et le roi d’Espagne obligé de se réfugier dans un cabinet, sans pouvoir goûter aux fruits. Imagine-t-on, de nos jours, le scandale et les imprécations contre la police, qui ne saurait pas faire respecter un souverain étranger ? A l’époque, on ne fit qu’en rire et y admirer l’empressement du peuple à voir de près les princes.

Quant aux fêtes, leur éclat dépendait naturellement de l’importance des villes traversées. Toutes n’en pouvaient point faire les frais. La soirée des jeunes princes se passait alors à jouer aux cartes entre eux, à dessiner, ou à faire des bouts-rimés, ce qui était la grande mode d’alors. Les bouts-rimés étaient envoyés à Mme de Maintenon, qui écrivait à son neveu le comte d’Ayen : « Les bouts-rimés ont été trouvés beaux et jolis, selon le style des poètes. L’un est dans le sublime, l’autre dans la plaisanterie, et tous deux ont fort bien réussi. » Mais elle s’étonnait qu’ils n’eussent pas recours à la musique pour passer leurs longues soirées[1].

Durant la première partie du voyage, les plus belles fêtes

  1. Correspondance générale. t. IV, p. 360.