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Nous montrerons aussi l’appui que lui prêta, dans les momens difficiles, l’épouse jusque-là un peu frivole et coquette dont il avait eu à se plaindre plus peut-être qu’il ne s’en était tout à fait aperçu, et nous la défendrons contre des accusations que, de son vivant, la malveillance avait commencé de murmurer à voix basse, dont, après sa mort, la légende s’est fait l’écho sans preuves, et que l’histoire sérieuse est en droit de repousser. Après avoir raconté les années heureuses, nous allons raconter les années d’épreuves, puis celles de travail et de préparation consciencieuse au règne, jusqu’à la catastrophe finale.


I

L’application qu’il apportait aux grandes affaires n’empêchait pas Louis XIV, souvent nous avons eu l’occasion de le remarquer, d’accorder la même attention aux plus petites. C’est ainsi que nous l’avons vu régler par lui-même les délicates questions d’étiquette que soulevait le voyage de ces trois frères accoutumés à vivre jusque-là sur un pied de complète égalité, dont le cadet était devenu roi, ce qui lui assurait la préséance, mais dont l’aîné était l’héritier futur du royaume, et dont le dernier, le Duc de Berry, était un enfant, voyageant pour la première fois sans précepteur. Dîner, messe, réception, il avait tout prévu. Il aurait même été plus loin, s’il faut en croire l’auteur d’une relation anonyme de ce voyage[1]. Il aurait fixé jusqu’au nombre des repas. « . Le Roi Très Chrétien, dit cet auteur, avoit si bien réglé la manière dont nous devions vivre pendant le voyage, qu’elle nous tenoit lieu pour ainsi dire de médecin. Nous avions ordre de ne point dîner, mais seulement de déjeuner et nous en tenir là jusqu’au souper. Pour moi qui suis accoutumé à faire régulièrement mes trois repas par jour, j’eus de la peine à me conformer à ce régime et je n’étois pas le seul ; mais il falloit, quoi que nous en eussions, en passer par là et louer en même temps la sagesse du Roi qui prenoit un soin si particulier de notre santé. »

Ce n’était pas seulement sur le régime et la santé des voyageurs que, de loin, veillait le Roi ; c’était, toujours au témoignage

  1. Cette relation, à laquelle nous avons déjà emprunté quelques détails relatifs aux adieux de Sceaux, a été publiée à la suite du dernier volume des Mémoires de Dangeau, d’après l’original qui est aux archives de la préfecture de Seine-et-Oise. Fonds Bombelles.