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du rejet du premier projet, il avait paru suspect de tiédeur à l’égard des canaux. Son attitude avait semblé équivoque et suspecte. Il en a été de même cette fois. C’est lui qui avait engagé le gouvernement dans la voie des concessions aux agrariens. Le gouvernement a jugé qu’il avait poussé ces concessions très loin, qu’il s’était presque compromis en les faisant, qu’il s’était attiré des embarras avec certaines puissances : et tout cela inutilement. Puisque M. de Miquel s’était donné aux agrariens, on espérait qu’il avait pris de l’influence sur ses nouveaux amis : le pitoyable fiasco auquel on aboutissait donnait une impression contraire. On en rejetait sur lui la responsabilité peu glorieuse, car il n’y a rien de moins glorieux qu’une intrigue parlementaire qui ne réussit pas. Pourtant M. de Miquel a été traité avec des ménagemens particuliers. Mis en demeure de donner sa démission, celle-ci a été acceptée comme s’il l’avait donnée spontanément et pour cause de santé. L’Empereur a rendu hommage à sa longue et brillante carrière, aux services qu’il avait rendus, à ceux qu’il rendrait encore à la Chambre des Seigneurs dont il l’a nommé membre à vie : après quoi, il a donné à M. de Bulow des marques redoublées et publiques de sa confiance et de sa faveur. L’heureux chancelier, malgré son échec, sort de la crise avec tous les honneurs de la guerre ; mais il a trop d’esprit pour ne pas prévoir les difficultés de l’œuvre qu’on attend de lui. Les ministres qui s’en vont, en dehors de M. de Miquel, et ceux qui arrivent, à l’exception de M. Mœller, sont des hommes de second plan. L’intérêt qui s’attache à sa nomination vient de ce que M. Mœller est un industriel, et c’est la première fois qu’un industriel est ministre en Prusse. De plus, il a le portefeuille du commerce, celui qui, à la veille des négociations douanières, a peut-être le plus d’importance. On dit que ses opinions économiques ne sont pas de nature à trop inquiéter les agrariens. En somme, nous venons d’assister à une entreprise très compliquée, qui a échoué : nous allons, avec une nouvelle distribution des rôles, mais tout en gardant le personnage principal, assister à une autre qui ne sera pas moins compliquée, et dont il est pour le moment impossible de dire si elle réussira, ou si elle échouera à son tour.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.