Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans doute, mais on doit les plaindre, car ils ont été cruellement trompés. Et on les trompe encore, lorsqu’on leur promet que, dans six mois, les Chambres devront avoir voté tout un ensemble de réformes propres à assurer leur bonheur, sinon la grève générale sera enfin proclamée sans l’émission. Toujours la même duperie !


Une crise ministérielle vient d’avoir lieu en Prusse, à la suite de la reprise de ce qu’on a appelé la « guerre de canaux. » Cette fois, la bataille a fait des victimes, sans même avoir été livrée, et trois ministres sont restés sur le carreau. Le plus important des trois est sans comparaison M. de Miquel, ministre des Finances et vice-président du ministère d’État. Agé aujourd’hui de soixante-treize ans, il a rempli une longue et grande existence administrative et politique, dont nous n’indiquerons pas les multiples et diverses péripéties, afin de n’avoir pas l’air de faire une oraison funèbre. On enterre assez volontiers M. de Miquel, en Allemagne ; mais qui sait, avec un maître aussi mobile que Guillaume II, ce que l’avenir réserve ? Mobile, nul d’ailleurs ne l’a été plus que M. de Miquel lui-même. On sait que, parti du socialisme de Karl Marx, il a évolué peu à peu vers la droite conservatrice à laquelle il a fini par arriver et avec laquelle il se confond aujourd’hui. Il a parcouru toute la gamme des opinions politiques, apportant successivement à chacune d’elles l’appui de son intelligence et de sa capacité. Il est très attaqué en ce moment, parce qu’il a l’air d’un vaincu. Naguère encore tout lui souriait ; la fortune semblait aller à lui ; on se demandait s’il ne deviendrait pas prochainement chancelier de l’Empire, — et alors il était entouré d’amis. La faveur impériale a porté au pinacle le comte de Bulow, qui d’ailleurs paraît fort digne de sa haute situation et en a rempli jusqu’à ce jour les devoirs avec une réelle supériorité. On a établi alors une sorte d’antagonisme entre M. de Miquel et M. de Bulow, comme s’ils ne pouvaient pas rester longtemps dans le même ministère. Nous ne savons pas ce qu’il faut penser des sentimens des deux hommes l’un à l’égard de l’autre ; toutefois les derniers événemens semblent donner raison à ceux qui ne les croyaient pas destinés à vivre ensemble. Jamais la situation du comte de Bulow n’a paru plus forte. Il reste seul à la tête du ministère prussien, qu’il préside, n’ayant pas jugé à propos de donner un successeur à M. de Miquel dans ses fonctions de vice-président ; il est chancelier de l’Empire ; il n’a eu que des succès dans le Reichstag, c’est-à-dire dans le parlement impérial ; — mais il a été moins heureux au Landtag de Prusse, et c’est là sans doute