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pour ce type de vieille femme. Il n’y a ici pas un trait qui ne soit de juste observation, pas un mot qui ne soit celui qui devait être dit. Mme Fontenais n’est plus à l’âge où l’on se laisse emporter par les mouvemens irréfléchis, par une espèce d’ivresse de dévouement et de folie de sacrifice. Elle est devenue prudente et timide : elle aime sa fille et ses petits-enfans, mais, comme tous les vieillards, elle ne s’oublie pas elle-même, elle tient à cette vie qu’elle quittera bientôt, et ne la conçoit pas sans ce confort qui est pour elle une habitude de toujours. Au surplus, elle a vu beaucoup de choses et elle a appris à se méfier. Son gendre était dans les affaires, et les affaires de son gendre lui ont coûté une bonne partie de sa fortune ; le peu qu’il lui en reste, elle ne se soucie nullement de le voir dévorer par les affaires de son petit-gendre. Une première épreuve lui a suffi et elle s’est juré à elle-même de n’en pas faire une seconde. M. Hervieu a imaginé, je le sais, un autre serment fait par la vieille dame : elle aurait, au lit de mort de son mari, promis de ne jamais dénaturer la fortune que celui-ci lui laissait. Voilà un surcroît de précautions et un luxe de sûretés assez inutile. Il suffisait bien de l’expérience de Mme Fontenais et de sa méfiance de grand’mère désabusée. Elle craint de voir venir un jour où le pain lui manquera, à elle et aux siens ; contre cette crainte elle ne laissera prévaloir aucune supplication, aucun raisonnement. Déshonneur, faillite, suicide, elle n’entend à rien. Sa résolution est prise une fois pour toutes, arrêtée, fixée, inébranlable.

Le caractère ainsi tracé a un premier avantage, c’est d’être calqué sur la réalité. Il en a un autre, qui, du point de vue de l’œuvre de théâtre, n’est guère moins important : c’est que non seulement il sert à l’action, mais l’action tout entière en dérive. Lui posé, le drame suit. En effet, telle est pour Sabine Revel la situation : une lettre que, sur les instances de la cruelle Marie-Jeanne, elle a adressée à Stangy, pour lui demander de venir à son aide, est restée sans réponse ; Didier Maravon a dû déposer son bilan et la dernière ressource qui lui reste est d’obtenir de ses créanciers un concordat, moyennant une somme de cent mille francs dont il n’a pas le premier sou ; Marie-Jeanne a pris le parti que ne manquent pas de prendre en pareil cas les petites perruches de sa sorte : elle est tombée dangereusement malade. Pour sauver la vie de sa fille, l’honneur de son gendre, il faudrait à Sabine Revel ces cent mille francs que Mme Fontenais ne veut pas donner, et qui sont là dans le secrétaire de Mme Fontenais, sous forme de titres nominatifs. Que faire ? C’est un des procédés de M. Paul Hervieu d’acculer ses personnages à une situation qui ne comporte qu’une seule