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témoignent, — et nous la pouvons retrouver : la métaphysique ne nous est même pas autant qu’à d’autres constitutive et congénitale ; il n’y a guère qu’un siècle qu’elle nous a été inoculée. Ne nous émouvons pas des « cris de singe » que quelques-uns pourront pousser, comme dit M. Siliprandi, — qui a l’épithète un peu vive, — et, sans nous laisser accrocher au passage par les étrangers et les « étrangéroïdes, » reprenons la pente, à tort abandonnée, de notre génie national.

Et puis, il nous faut purger notre esprit de cette espèce d’orgueil ou d’amour-propre qui nous porte à considérer les événemens contemporains comme tout à fait exceptionnels, comme n’ayant pas eu d’analogues dans le passé, et comme si grands ou si originaux qu’ils n’eussent pu être vécus auparavant par des hommes qui n’étaient pas nous. Le purger aussi de la foi au miracle politique, à la vertu magique de certaines syllabes, à la puissance fatidique de certaines dates, à tous ces abracadabra modernes qui ne sont pas moins ridicules ni moins décevans que ceux de l’antique sorcellerie, et qui ne feront pas plus la lumière que les anciens ne faisaient la nuit. L’humanité ne s’est pas, en cent ans, transformée de fond en comble, alors qu’en des milliers d’années, elle s’était à peine transformée à la surface. Les révolutions qui la secouent, et celles même qui paraissent la bouleverser, ne la laissent évidemment pas toute semblable à ce qu’elle était, mais non plus ne l’en rendent pas toute différente. Ce peuvent être de grandes coupures ; mais pourtant toutes les fibres ne pendent pas tranchées ; par-dessus ou par-dessous, les tronçons du corps national et les époques de la vie nationale se rejoignent, et il le faut bien ; sinon, il n’y aurait plus ni corps national, ni vie nationale : la nation serait morte. N’est-ce pas déjà trop que, depuis, elle s’en aille, boitant, buttant et cahotant, par saccades, comme les ataxiques ?

Mais croire que tout d’un coup tout change, et qu’il n’y a plus rien aujourd’hui de ce qui était hier, et qu’il n’y avait rien hier de ce qui est aujourd’hui, est une erreur qui confine à la niaiserie. Et il était d’un symbolisme bon pour enseigne de charlatan, ce petit tableau qui illustrait un de nos Manuels civiques les plus recommandés. Un trait le partageait en deux par le milieu : le panneau de gauche portait ce titre : Avant, et celui de droite : Après 1789. Avant, on voyait un paysan hâve, décharné, suant à gouttes, courbé à se casser l’échine, une de ces bêtes humaines