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que sont les génies dans les familles, d’illustres embarras. On s’en glorifie et on s’en plaint ; très fier de les avoir, on est très ennuyé de la place qu’ils prennent.

Tout l’art du gouvernement, en France, est de faire vivre ce difficile ménage de Paris et de la province. Le pouvoir se sert de la centralisation : c’est un clavier si commode sous la main ! Une touche, et l’instrument sonore résonne tout entier. Mais, cette centralisation, c’est Paris qui l’a faite, et il entend l’accaparer à son profit. Il n’aime pas qu’on lui dispute la domination qu’il a coutume d’exercer.

Quand les rois eurent, avec le concours de Paris, fait la France, ils commencèrent à regarder Paris de travers. Jaloux de leur allié et de leur complice, ils lui cherchèrent des rivales paisibles et moins bruyantes. Grands chasseurs, ils fouillèrent les bois et y installèrent des Saint-Germain, des Fontainebleau, des Versailles. Mais Paris ramena à Paris « le boulanger, la boulangère et le petit mitron. » Les Bonapartes, fils de la démocratie, vécurent à Paris, mais ne surent pas s’arranger pour y mourir. La République anonyme voudrait bien échapper à la surveillance. Elle a toujours l’œil tourné vers le Versailles du grand roi. Elle y réunit ses congrès et y délibère sur les intérêts vitaux de la nation.

Le problème reste posé ; il n’est pas résolu. Même à Versailles, le Congrès fait les constitutions et les présidens sous l’œil et sous la main de Paris. Ajoutons que, si Paris n’était pas là (invisible et présent), les assemblées et les décisions seraient, sans doute, effroyablement rurales et rétrogrades. Il est hors de la conception française que le département de Seine-et-Oise gouverne la France.

D’ailleurs, que sont les départemens ? des formules géographiques, rien autre chose. La France s’est brisée elle-même en mille miettes par la volonté qu’ont eue les provinces de n’obéir à aucune d’entre elles, mais à un seul pouvoir central, incarnation d’elles toutes.

Donc, c’est clair : Paris est indispensable. Mais Paris est redoutable. Plus la démocratie s’installe, plus Paris est nécessaire et plus il est dangereux. Les gouvernemens modernes, si peu sûrs du lendemain, n’osent même plus regarder le problème de Paris en face ; ils se dérobent et vivent au milieu — et à côté — de la grande Ville, toujours inquiets de son rugissement. Paris,