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Le besoin et l’intérêt y poussent d’abord ; puis l’amour-propre, la vanité, l’ambition des honneurs, de la notoriété, de la gloire. Il arrive une heure où l’intérêt pour l’idée et par l’idée aboutit au désintéressement.

Aussi Paris, soucieux de son renom et de sa grandeur, conscient des angoisses de la recherche et des douleurs de la création, est indulgent pour tous ceux qui luttent. Il subit, avec une patience inlassable, toutes les nouveautés. Il s’assoit aux « premières » avec une complaisance toujours prête et qu’aucune déception n’épuise. Mais, de quels hommages il entoure ceux qui réussissent, ceux qui ont reçu le don sacré, ou ceux dont la patience, selon le mot de Buffon, s’est poussée jusqu’au génie ! Qu’ils sont doux les premiers rayons de la gloire dans cette ville si prompte à comprendre et à se donner ! Quel accueil sur les visages, que de mains tendues vers ceux qu’un volume, une œuvre, un service soudain ont illustrés ! C’est alors que le travailleur, à demi éveillé de son ivresse créatrice, s’étonne, s’interroge lui-même, regarde autour de lui, et connaît enfin la douceur de vivre.

Il n’y a plus, à Paris, d’autre aristocratie et d’autre grandeur que celle du mérite, ou, tout au moins, puisqu’il faut faire sa part à la faiblesse des jugemens humains, que celle du succès. Paris est le seul pays où le travail soit admis sur un pied d’égalité et de considération, sans avoir à rendre compte de ses origines. Les rois passent inaperçus dans l’immense incognito et parmi la vaste indifférence d’une ville occupée à ses affaires et à ses plaisirs. Mais tout le monde est debout, tous les yeux sont ouverts, les acclamations partent d’elles-mêmes, quand paraît la Beauté, le Dévouement ou le Génie. Artiste, qui avez sculpté, pour le champ funéraire, l’immortel visage des douleurs humaines ; poètes, qui avez dit, en vers impeccables, les émotions anciennes et les légendes sacrées ; soldat, qui avez franchi les déserts,… me démentirez-vous ?


Avec ses qualités et ses défauts, naturels ou acquis, Paris gouverne la France. Mais, il n’en reste pas moins qu’en dehors de Paris, et en face de Paris, il y a la France. Si Paris était toute la France, elle flamberait bientôt comme un punch. Si la France n’avait pas Paris, elle serait incolore et terne, comme un tas de cendres sans étincelle. Paris est, pour la France, ce