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Le long des rivières, la prairie continue, descendant vers la plaine et allongeant sa bordure verte près des nombreux cours d’eau. A l’ombre des hauteurs et des collines, en plus d’un en- droit exposé aux vents humides, la prairie dévale et se découpe en enclos bordés de la ceinture des haies ; même dans les vallées plus larges, la prairie s’étale encore, à la faveur d’un sol facile à drainer et d’humidité constante. Donc l’élevage est une des grandes ressources de ce pays. Que ce soit l’élevage de la Normandie ou de la Bretagne, de la Thiérache ou du Morvan, de l’Auvergne ou du Dauphiné, il exige peu de main-d’œuvre ; il isole l’homme dans son enclos, fait de lui un prince sur son domaine d’émeraude ; il l’enrichit lentement, le rend lent lui-même, ne le poussant ni aux grandes fatigues, ni aux grandes consommations, ni au luxe, ni aux dépenses ; mais il l’enferme dans les petits bénéfices attentifs, le rend âpre au gain ; il arrondit les héritages, diminue les familles, fait les gens casaniers, de sens rassis, d’esprit réfléchi et avisé. L’herbager-propriétaire a pris de l’importance au fur et à mesure que la richesse s’est accrue et que la consommation de la viande s’est développée. Sa casquette de soie et sa longue blouse bleue envahissent les marchés et les foires. Dans certaines régions, il fait prédominer ses tendances particulières, sa taciturnité froide, son esprit de calcul et d’épargne, un certain goût du risque, de la spéculation et du maquignonnage.

Mais le soleil luit au flanc du coteau ; le sol est pierreux et caillouteux, il craque sous la bonne chaleur et la lumière de l’été. Les froids mêmes ne sont pas rudes. C’est la région de la vigne et des jardins. Le pampre embaume et fleurit, puisant dans le sol, par ses racines, et dans l’air, par ses larges feuilles, le sucre dont il fera la liqueur dorée ; au-dessus, le prunier s’élève et offre, quand vient la saison, parmi son maigre feuillage, ses globes juteux et mordorés.

Voilà bien l’étage français : vignes de Champagne à quarante mille francs l’hectare, alignées, soignées et peignées comme des jardins ; vignes de l’Ile-de-France, familières et sans apparat ; vignes de Touraine et d’Anjou, qui, de collines en collines, poursuivez en ondulant le long bandeau parallèle à la Loire et qui couvrez, de votre coiffe verte et rouge, tous les coteaux qui moutonnent le long des fleuves, des rivières et des ruisseaux ; vignes chères au roi Henri, Orléans, Vouvray. Tours, Saumur,