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orienté à la diable, un terrain d’alerte et de cache-cache, où le soleil et l’ombre se jouent, et où il y a surprise et distraction constante à considérer, du haut des sommets fréquens, les aspects divers du pays. Ce serait un vrai désordre, s’il n’y avait cette forme générale de toit qui, en somme, règle la loi des pentes et détermine le cours divergent des deux grands fleuves français, la Loire et le Rhône.

Celui-ci était bien parti pour aller au nord, et alors il nous eût tournés tout à t’ait, comme le sont nos voisins, vers les mers froides et brumeuses. Mais, ayant rencontré la barrière du Jura, il s’est ravisé. Se glissant sous terre et ramassant la Saône, qui ne savait où aller, si lente, lentus Arar, il en a grossi son cours et il a dévalé vers la mer intérieure, faisant ainsi, comme par surprise, de la France, un pays à deux faces et un pays méditerranéen.

Sur l’autre pente, la Loire marque la direction générale. La Seine et la Garonne la suivent fraternellement, et les trois vont de compagnie vers l’Océan, la plus grande tenant ses deux sœurs par la main. Le Rhin, avec ses affluens, est une autre Loire, mais de région limitrophe, indécise. A part cela, toutes les rivières françaises coulent en terre française ; elles sont bien à nous et reflètent, dans leur cours rapide et décidé, un même sol et un même ciel. De toutes, on pourrait dire ce que le poète dit de l’une d’elles :


Sous les peupliers d’or, la Seine aux belles rives.


Sur ce sol ramassé, mamelonné, règne un air, un climat qui, partout, est sensiblement le même. Il n’est pas nécessaire de changer de vêtement, si l’on va de Dunkerque à Paris, et de Paris à Marseille : tout au plus ôter ou mettre un pardessus. Au fond, c’est l’Océan qui règle tout cela. Il nous dispense et nous mesure ses tiédeurs et sa fraîcheur alternativement. Quand il pleut à Nantes, il va pleuvoir à Paris, et la Saône se voile quand se couvrent la Seine et la Loire. Tout joue en même temps. Le pays entier se règle sans inconvénient sur l’heure de Paris : la France est si petite ! Pays proportionné, coteaux modérés, climat tempéré : voilà la France. C’est une agréable résidence, nuancée et délicate, et on dirait volontiers d’elle ce que le proverbe dit de nos journées atténuées, douces et chères :


En temps de demoiselle :
Ni pluie, ai vent, ni soleil.