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« L’absent, le cher et triste absent, reviendra-t-il ?
Loin du sol maternel, il aime son exil,
Et l’année au détour du chemin suit l’année
Sans ramener cette âme à souffrir obstinée.
Pourtant le soir est bon ici, le soir est bleu ;
Son encens laiteux flotte à terre comme un voile,
Et sur le pâle azur du firmament, l’étoile
Tisse un rayon par où notre âme monte à Dieu. »

Elles rêvent ainsi toutes le même aveu.
Les douces vierges. L’air qui leur flatte la joue
Fait que le bras plus tendre à la taille se noue.
Un pur désir émeut les jeunes seins gonflés ;
Et le vent sur le mur berce les clématites.

O jeune homme inquiet du monde, qui médites,
Opposant un front haut aux grands souffles salés,
Souviens-toi que l’amour docile au pas de l’heure
Ne descend pas deux fois dans la même demeure !
Un soir tu rentreras, sentant qu’il se fait tard.
Au toit natal, avec une âme de vieillard.
Tes yeux verront dans les miroirs rongés de rouilles
Le sel de l’Océan qui te reste aux cheveux ;
Ta main tremblante et lasse attisera les feux
Qu’octobre aura formés de ses tristes dépouilles ;
Et regardant, pensif, presque en pleurs, aboyer
La Chimère de bronze accroupie au foyer,
Songeant à la maison jadis pleine de joie,
A l’enfant qui, rieur, courait dans les massifs,
A tous les parens morts qui dorment sous les ifs,
A ceux qui dans la vie ont pris la juste voie,
Devant un pauvre feu sans cesse rallumé.
Tu connaîtras l’horreur de n’être pas aimé.


CHARLES GUERIN.