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que des espérances. Le bruit s’était répandu qu’il s’installerait aux Tuileries le 21 janvier ; en manière de démenti, ses journaux lui font dire : « Je n’eusse point entré ce jour-là aux Tuileries. »

Pour mieux gagner les masses profondes, il les prend par leurs instincts nobles, fait appel à leurs sentimens d’honneur ; il sait qu’on ne s’adresse pas en vain à la générosité native qui subsiste au fond de ce peuple ; hardiment, il se fie aux Parisiens et accroît leur loyauté en la préjugeant. Pour anéantir les restes de la chouannerie normande, il n’hésite pas à dégarnir Paris de troupes ; plusieurs milliers d’hommes sont poussés sur la Normandie à marches forcées, et la capitale se trouve un jour sans autre garnison que les grenadiers des consuls, avec un peu d’infanterie et de cavalerie. Les journaux consulaires font aussitôt ressortir ce fait sans exemple, suivant eux, dans aucune capitale, et rapportent cette conversation, tenue au Luxembourg : « Quelques personnes, frappées de ce contraste, observaient avec un peu d’inquiétude qu’il n’était peut-être pas prudent de laisser Paris sans garnison : — Vous ne comptez donc pas, a répondu le Premier Consul, les 40 000 gardes nationaux de Paris ? Vous oubliez donc aussi ces invalides, qui retrouveraient de la force et de la vigueur, si l’on avait encore à faire appel à leur courage. » La garde nationale a été réorganisée, les bourgeois et même les ouvriers assujettis à un service plus régulier ; ils crient un peu, mais éprouvent néanmoins comme une fierté de garder Bonaparte. Le Consul dira bientôt : « Ma confiance particulière dans toutes les classes du peuple de la capitale est sans bornes ; si j’étais absent, que j’éprouvasse le besoin d’un asile, c’est au milieu de Paris que je viendrais le trouver[1]. »


IV

A côté de ce pouvoir croissant chaque jour en prestige et en force, à côté de cet homme en qui l’autorité resplendissait, les assemblées pâlissaient de plus en plus et s’effaçaient dans une demi-obscurité. Cependant, l’opposition tribunitienne et législative n’avait pas dit son dernier mot, et il ne paraissait nullement certain que la session pût se terminer sans encombre. Au

  1. Correspondance de Napoléon ; VI, 5130.