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renier la Révolution, depuis qu’elle a trouvé un chef et un ordonnateur. Plusieurs rapports constatent une renaissance de foi dans les destinées de la France nouvelle, dans le bienfait de la grande crise ; il semble que quelque chose du premier enthousiasme se ranime. Lassé de tyrannies collectives et dégoûtantes, le peuple de Paris aspirait instinctivement à un chef et ne demandait pas un roi. Ce roi, il l’eût subi peut-être, par excès de misère, mais voici que surgit une forme nouvelle de république, répondant bien mieux à ses goûts, à ses penchans, à son tempérament tel que l’ont fait des siècles d’histoire et dix ans de révolution ; supérieurement, elle répond à la vieille tradition autoritaire en l’alliant à la fiction démocratique. A voir les Français égaux sous un chef militaire et glorieux, entouré d’un bel appareil de commandement et en même temps de formes très simples, gouvernant avec vigueur, mais gouvernant au nom et au profit de tous, les ouvriers parisiens ont trouvé leur idéal de république ; c’est la souveraineté nationale, c’est la liberté telle qu’ils la conçoivent, et ces hommes croient redevenir républicains, en devenant bonapartistes : « dans plusieurs réunions formées le décadi par les ouvriers du faubourg et plusieurs militaires, on a crié : « Ni d’Orléans, ni Capet ; ce sont des tyrans. Vive la République[1] ! »

Bonaparte sent que Paris lui vient et cherche à l’attirer davantage. Il prend contact plus intime avec la population, par tous les moyens de publicité dont il dispose. Dans les courts articles qu’il inspire ou rédige, il se met personnellement en scène ; à chaque instant, les journaux à sa dévotion citent des mots de lui, des propos textuels, des traits, des boutades ; c’est une façon qu’il a de parler familièrement aux Parisiens, d’orienter l’opinion et de donner le ton aux esprits. Un jour, il laisse entendre que dans peu de temps tout sera si bien organisé, consolidé, assis, que le gouvernement pourra considérer son œuvre avec satisfaction et se reposer : « Dans deux mois, je n’aurai pas besoin de trois heures de travail par jour, » et chacun va répétant que dans deux mois on pourra se livrer au repos. Envers toutes les opinions paisibles, ce sont des ménagemens pleins de tact ; impitoyable aux royalistes belligérans, Bonaparte se garde de choquer ceux qui conservent des souvenirs et des regrets plutôt

  1. Rapport de police du 22 pluviôse. Archives nationales, AF, 1329.