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bourgeois de Paris ouvrant chaque matin le Moniteur, devenu l’organe officiel, passé de Sieyès à Bonaparte. La feuille de grand format suffit à peine aux arrêtés consulaires, proclamations, prescriptions qui la remplissent, et chaque mot de ces décisions fait tomber une servitude ou honore un principe, console et rehausse les cœurs : — institution des armes d’honneur pour récompenser les braves qui se sont signalés par des actions d’éclat au service de la République ; — l’Hôtel des Invalides transformé en Temple de Mars, en musée de toutes nos gloires militaires, en réceptacle des drapeaux conquis ; — le même jour, la liberté religieuse pratiquement rétablie, les églises libres de s’ouvrir le dimanche et non plus seulement le décadi : « Aucun homme ne peut dire à un autre homme : Tu exerceras un tel culte ; tu ne l’exerceras qu’un tel jour[1] ; » — restitution effective des églises non aliénées[2] ; — abolition du serment pour les prêtres, remplacé par une simple promesse de fidélité à la constitution ; — rappel des principaux députés fructidorisés : ils vont revenir, ces hommes « dont presque tous peuvent être considérés et mis au rang des citoyens les plus distingués par leurs lumières et leur moralité[3] ; » — rappel des écrivains fructidorisés ; — mise en liberté des prêtres détenus dans les îles de l’Océan ; — suppression des solennités commémoratives de sanglans souvenirs et des fêtes de haine ; et toutes ces mesures semblent traduire en actes ces dernières paroles des Consuls provisoires : « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée ; elle est finie. »

La Révolution revenant à ses principes, tenant ses promesses, s’achevant dans la paix consulaire, était-il possible qu’une telle merveille fût ? La chose semblait parfois trop belle pour pouvoir durer. Que ce fût un répit ou un terme, on en jouissait délicieusement. Un gouvernement qui ne proscrit plus au nom de

  1. Proclamation des Consuls aux départemens de l’Ouest.
  2. Rapport de police du 13 nivôse : « L’arrêté du Premier Consul en faveur de la liberté des cultes a fait la plus grande sensation dans Paris. L’affluence a été considérable ces jours-ci à la porte des églises. Un grand nombre de celles qui avaient été fermées ont été rouvertes, à la satisfaction d’une foule de personnes de tout sexe, qui se la témoignaient par les démonstrations les plus vives. Plusieurs se serraient la main et s’embrassaient. Tous prouvaient la vérité de cette observation que fournit l’histoire de tous les siècles et de tous les peuples ; la persécution n’a servi qu’à faire dégénérer l’opinion de l’opprimé en un véritable fanatisme. » Archives nationales, AF, IV, 1329.
  3. Lettres inédites de Mme Delessert, communiquées par M. Georges Bertin.