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corps. La chose était facile, disait-on maintenant, et pouvait s’accomplir sans recours au remède militaire, puisqu’on avait affaire à des législateurs nommés et point élus, conséquemment révocables. Bonaparte, revêtu de la sanction populaire, était seul l’élu de la France ; entre lui et les assemblées, qu’il fasse juge le peuple, qu’il l’appelle à se prononcer par plébiscite sur la question suivante : les choix faits ont-ils été agréables au peuple ; le peuple veut-il que le Premier Consul nomme une commission de sénateurs qui sera chargée de les réviser et d’en opérer d’autres ?

Ce moyen de solution, proposé d’abord par le Surveillant, fut violemment soutenu par le Journal des hommes libres ; des feuilles même modérées, telles que le Publiciste, s’y rallièrent. La Gazette de France s’emportait ; son rédacteur Thurot interpellait Bonaparte : « Interrogez la France. Les nominations faites par le Sénat conservateur ont été si étranges, ont tellement heurté l’opinion publique, que tous les signes d’improbation indirecte se sont manifestés à la fois. L’argent s’est resserré, le crédit est devenu plus impossible, les fonds publics ont oublié le 18 Brumaire, et nous restons tremblans et incertains entre un gouvernement qui appelle notre confiance et des autorités législatives qui la repoussent. » Pour agir, attendra-t-on que le mal s’aggrave ? « Alors se présenteront de nouveau ces hommes silencieux dont les dispositions sont déjà faites (lisez Sieyès) ; ils viendront blâmer ce qui est leur ouvrage, et jeter leur venin sur la tombe de ceux dont ils auront avancé la chute. Vous qui gouvernez, osez consulter l’opinion ; elle est toute en votre faveur… De toutes nos autorités, vous êtes la seule à laquelle on puisse se rallier. Les hommes nécessaires sont toujours ceux qui sont préférés, et les gouvernemens ne sont aimés que par nécessité. »

Ainsi lancée, l’idée de recommencer les nominations prenait étonnamment dans le public. Les uns l’adoptaient par passion contre-révolutionnaire, les autres pour plaire à Bonaparte ou simplement par effroi de sa colère, plutôt pressentie qu’éprouvée. On préjugeait ses intentions ; on le disait particulièrement courroucé contre Sieyès, d’où venait tout le mal, et prêt à éloigner ce chef d’une oligarchie détestée. Une nouvelle, colportée d’abord à la Bourse, accrédita ces rumeurs. Le bruit se répandit que Sieyès avait disparu de son domicile ; où était-il, en prison, en exil ou en fuite ? Chercher Sieyès, ce fut pendant quelques heures l’amusement des Parisiens, le jeu du jour, et les journaux, cédant