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comme tellement imposé par les circonstances, que la moindre atteinte à l’homme en qui la France se reposait et par lequel la patrie pouvait revivre, semblait acte de haute trahison. Puis, on avait vu, pendant dix ans, toute scission entre les autorités aboutir très vite à des déchiremens, tout parti dégénérer en faction ; les violens discours avaient toujours précédé les coups de fusil et les massacres ; ces souvenirs lugubres pesaient sur tous les esprits. À voir renaître un germe d’opposition, l’opinion littéralement s’affola ; on se crut rejeté dans le chaos ; la rente était retombée au-dessous de vingt francs.

Voilà donc, criaient les journaux ameutés, voilà ce que l’on a gagné à repeupler les assemblées d’hommes usés, discrédités, habitués à vivre de discordes ; c’est à eux qu’il faut s’en prendre si l’acte pacificateur de Brumaire n’a pas encore produit les résultats espérés. Parce que ces hommes avaient trop longtemps fatigué et tourmenté la France, on ne leur permettait plus l’indépendance ; ils avaient raison dans le présent, tort par leur passé. En quelque position qu’ils se soient aujourd’hui réfugiés et logés, l’animadversion publique les recherche et les incrimine. Aux tribuns payés pour parler, on reproche de trop parler. Aux législateurs payés pour se taire et voter, on reproche de mal gagner leur argent. Ils ne viennent même pas à la Chambre. Le 17 nivôse, jour fixé pour opiner sur le projet en suspens, le Corps législatif ne s’est pas trouvé en nombre suffisant pour que le scrutin pût s’ouvrir. Les députés touchent leur traitement et ne remplissent pas leur mandat. Qu’on les rappelle à la décence, à leur fonction, et, s’ils osent réclamer, « nous leur répondrons, le texte de la constitution à la main : Vous n’avez pas la parole. »

Dans ce concert d’invectives et de quolibets, les journaux des nuances les plus diverses se réunissaient. Le Journal des hommes libres, organe des bas Jacobins, organe officieux du ministre de la police, avait l’un des premiers donné de la voix : il avait lancé contre Mme de Staël et Benjamin Constant d’ignobles attaques. Les républicains d’extrême gauche, dépourvus et faméliques, haïssaient la caste des révolutionnaires en place, pourvus et rétribués, et Fouché, Jacobin autoritaire, détestait le parlementarisme sous toutes ses formes. D’autre part, la Gazette de France, organe de la réaction indépendante, procédait par insinuations venimeuses ; derrière Benjamin Constant et autres