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autorités constituantes avait supprimé la toge rouge et le travestissement romain ; il avait prescrit l’habit de soie à la française, gros bleu pour les députés et bleu clair pour les tribuns, agrémenté d’or pour les premiers et d’argent pour les seconds, avec le « chapeau français » et la ceinture tricolore. Le public approuvait cette réaction dans les costumes ; il y voyait un encouragement donné à l’industrie nationale, une grosse commande assurée aux manufactures lyonnaises, car il ne faudrait pas moins de « 4 000 aunes de soie » pour habiller tout le monde législatif. Mais les tribuns maugréaient, craignaient la dépense ; quelques-uns regrettaient la toge et ne concevaient pas que des tribuns fussent habillés autrement qu’à la façon des Gracques. Dans la première séance, Riouffe posa emphatiquement, par motion d’ordre, ces deux questions : les tribuns, orateurs du peuple, doivent-ils se distinguer par leur tenue des autres citoyens ? en admettant l’affirmative, n’eût-il pas été préférable de leur donner, à la place d’un habit étroit et cérémonieux, un vêtement plus ample, plus aisé, facilitant la gesticulation de l’orateur et les fougues de son débit ? Cette discussion, qui n’eût pas été déplacée dans un atelier de tailleur, remplit la séance.

Dans le même moment, le Corps législatif se constituait sous la présidence de son doyen d’âge, le citoyen Tarteyron. Pour la première fois, des représentans officiels du gouvernement figuraient dans une Chambre française. Une place avait été réservée au pied de la tribune pour les conseillers d’Etat, séparés de l’assemblée par des draperies rouges. Trois conseillers d’État montèrent ensemble à la tribune, et l’un d’eux, Fourcroy, lut le premier projet de loi émané de l’initiative consulaire ; il avait pour but de régler les rapports entre les pouvoirs publics et le mécanisme législatif. Ce projet fut renvoyé à la discussion du Tribunal ; après quoi, le Corps législatif s’occupa de son règlement, car la constitution, en l’obligeant à voter ou à rejeter silencieusement les lois, ne lui avait pas imposé un mutisme absolu et ne lui interdisait point quelques discussions à côté.

Le 13 nivôse, un incident très vif se produisit au Tribunal, à propos du lieu où ce corps avait été placé. Était-il convenable de l’avoir logé au Palais-Royal, centre de tous les plaisirs et de toutes les corruptions, repaire doré des escrocs, des agioteurs et des filles, palais et bouge ? Dans leurs délibérations, les tribuns ne seraient-ils point troublés par la rumeur des galeries et le