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solidement sans s’appuyer au trône. Les journalistes exploitaient la tendance publique ; « Toutes ces plumes vénales, gémissait le démocrate Poultier, suivent le vent de la réaction parce que cela amène des abonnés ; » et les jeunes gens à la mode, par une conception fantaisiste de l’histoire, se figuraient que l’ère royale avait été un temps toujours exempt de secousses et de crises, où l’on menait tranquillement joyeuse vie ; « Quand on leur parle d’une monarchie de quatorze cents ans, ils croient bonnement que pendant quatorze cents ans on alla paisiblement à l’opéra et au vaudeville,… qu’il y avait d’assez fréquentes guerres, mais qu’on n’y envoyait jamais de jeunes gens, de peur d’interrompre les bals et les thés. » La majorité des bourgeois paisibles admettait sans doute la République, le fait établi, et s’était même déshabituée des formes monarchiques, mais combien d’entre eux, tenant Bonaparte pour l’homme actuellement indispensable, providentiel, ne s’imaginaient pas pourtant que la Révolution pût rien fonder ; un pouvoir stable s’édifierait-il jamais sur ce volcan à peine refroidi, et la France trouverait-elle un lendemain, un avenir, sans s’accorder avec ses princes ?

Le royalisme pur, le royalisme militant, restait organisé. Le parti relevant du Comte d’Artois, ce parti d’action dont la spécialité était d’obéir à un prince qui n’agissait jamais, avait à Paris des bureaux secrets, des officines, des salons, des journaux, « quarante journaux, » la majorité île la presse, des contre-polices, des ramifications mystérieuses jusque dans l’intérieur et « la domesticité du gouvernement[1]. » Sous l’immobilité lasse de la cité, ses intrigues grouillaient ; ses agens correspondaient avec Londres et avec l’Ouest.

Bien qu’un armistice eût été signé avec les chefs vendéens, angevins, bretons et normands, bien que des négociations se poursuivissent avec cette république de chefs qui s’intitulait la France royale, l’insurrection toujours sur pied pesait sur Paris par sa proximité relative et l’opprimait, entretenait un sourd malaise. Les républicains se disaient : faut-il voir en Bonaparte « un Monk qui se sert de la Vendée comme d’une planche pour ramener et sauver la royauté[2] ? » La masse des gens

  1. Brune à Bonaparte, après un entretien avec Cadoudal, Chassin : les Pacifications de l’Ouest, III, 562.
  2. Rapport de police publié par Schmidt, Tableaux de la Révolution française, III, 480.