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timide Octavie l’a fatigué par sa complaisance, elle essaie de le dominer par le dédain. Elle le raille de la bassesse de ses sentimens, de sa passion pour une affranchie, de son obéissance aux volontés de sa mère ; elle lui oppose sans cesse le bel Othon, un des rois de la mode, si élégant, si distingué dans ses manières, si généreux dans ses libéralités, elle ne dissimule pas le regret de l’avoir quitté et menace de l’aller rejoindre. Il est probable que Néron, malgré sa passion pour elle, ne subissait pas ces hauteurs sans quelque colère, et qu’il essayait parfois d’y résister. C’est sans doute dans une de ces révoltes de son caractère indomptable, un jour qu’elle l’accablait de reproches, qu’il la tua d’un coup de pied.

Ces peintures, si vivantes et si vraies, sont bien d’un observateur qui a fréquenté le monde, qui n’a pas seulement connu l’homme dans les livres, mais qui l’a vu de près, et à qui l’étude des gens qu’il avait sous les yeux a fait mieux comprendre ceux qu’il rencontrait dans l’histoire. De là aussi lui sont venues ces pensées brillantes, auxquelles on donnait le nom de sententiæ, qui enferment tant de sens en si peu de mots, et qu’il a semées à profusion dans ses récits. Elles étaient alors fort à la mode ; on en trouve un très grand nombre dans Sénèque et chez tous les écrivains de ce temps. Mais celles de Tacite ne sont pas, comme il arrive trop souvent chez les autres, de simples phrases à effet, des artifices de style, des beautés plaquées. On sent qu’elles ont été prises sur la réalité, et qu’elles viennent directement de la vie. Aussi ne nous causent-elles pas seulement un plaisir de lettrés. Nous admirons sans doute le grand air qu’elles ont et le tour piquant qu’il leur a donné ; mais nous sommes encore plus frappés de la profonde connaissance qu’elles témoignent des passions et des caractères. Elles réveillent en nous des réflexions que nous avions faites nous-mêmes, elles expriment d’une façon plus précise et plus vive des pensées que notre expérience personnelle nous avait confusément suggérées ; nous en faisons aussi l’application à certaines personnes que nous avons connues ou à certains incidens de notre existence, et cette sorte de communication que la surprise de les reconnaître établit entre l’auteur et nous est une des raisons de l’intérêt que nous trouvons à le lire.