Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dut étudier surtout la rhétorique. En ce moment, elle était professée avec un grand éclat par Quintilien, pour lequel l’empereur venait d’instituer la première chaire publique d’éloquence qui ait été créée à Rome. On s’est naturellement demandé si Tacite n’avait pas suivi ses leçons, comme fit plus tard son ami Pline le Jeune. C’est assez vraisemblable, mais on ne peut pas l’affirmer. On verra que si, par certains côtés. Tacite se rapproche de Quintilien, par beaucoup d’autres, il s’en écarte. En supposant qu’il fût son élève, ce devait être un élève singulièrement indépendant, et qui ne se piquait pas d’approuver toujours les idées de son maître.

Ici, nous ne raisonnons plus d’après des hypothèses : nous avons un ouvrage de Tacite, le plus ancien qu’il ait écrit, et qui garde comme un reflet de son éducation. C’est le Dialogue sur les Orateurs, un petit livre de quelques pages, qui est assurément l’un des meilleurs traités de critique que l’antiquité nous ait laissés. Ce traité a été l’objet de grandes controverses, et quelques-unes des questions qu’il soulève ne sont pas encore résolues. Il est certainement de Tacite, quoiqu’on en ait souvent douté, et presque personne aujourd’hui ne le lui conteste ; mais on s’accorde moins sur l’époque où il fut écrit et publié. L’entretien que Tacite rapporte est de la cinquième année du règne[1] de Vespasien, et il nous dit qu’il était alors « tout à fait jeune ; » ce qui montre qu’entre l’époque où il y assista et celle où il écrivait, quelques années s’étaient écoulées et que le jeune homme avait eu le temps de devenir un homme fait. En supposant sept ou huit ans de distance, nous sommes reportés au début du règne de Domitien, et c’est bien en effet le moment où Tacite a dû le rédiger. Plus tard, il n’aurait pas conservé un souvenir aussi présent, une impression aussi vive des paroles qu’il avait entendues. Mais est-ce vraiment celui où l’ouvrage fut publié ? J’ai grand’peine à le croire ; il ne me semble pas possible qu’il ait pu paraître pendant que vivaient encore les personnages dont l’auteur parle ou qu’il fait parler. Comment aurait-il osé dire d’Eprius Marcellus et de Vibius Crispus, dont l’un au moins siégeait à côté de lui au Sénat et qui avaient joui tous les deux de la confiance des empereurs, que c’étaient de malhonnêtes gens ; qu’on

  1. Je demande la permission de me servir de ce mot de règne, quoiqu’il ne convienne pas tout à fait, et qu’un empereur ne soit pas un roi. Mais le mot est commode et, chez nous, fort usité pour désigner l’époque pendant laquelle un prince a possédé le pouvoir souverain.