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prêtres, contre les bourgeois dévots, les nobles, les muscadins et toutes les variétés de réacteurs, les Jacobins se croiront encore sous une république selon leurs vœux ; ils se sentiront encouragés à lutter contre le mouvement rétrograde. Le Journal des Hommes libres reste là pour servir d’exutoire à leurs colères et hurler au besoin leurs doléances. Ce dogue jacobin, que Fouché tient en laisse, sans le tenir de trop court, fera bonne garde autour des institutions et des formes révolutionnaires ; en même temps, tournant autour de Bonaparte avec des grondemens apaisés, il le défendra contre des amis compromettans et saura au besoin l’avertir.


III

Entre les courans divers qui se la disputaient, l’opinion de Paris restait malgré tout incertaine et flottante, dominée par Bonaparte et se demandant où il conduisait la France. Une constitution avait été promise à bref délai et devait fixer les destins de la République ; pourquoi tardait-elle à paraître ? Insouciance, impatience, on a dit que le tempérament des Parisiens peut se définir par ces deux termes contradictoires ; peu leur importait ce que serait la constitution, pourvu qu’elle fût. Les journaux signalaient une faction nouvelle, celle des Impatiens. L’adhésion totale des intérêts demeurait en suspens ; l’ascension des fonds publics, d’abord très rapide, s’arrêtait ; le Tiers consolidé, qui, après Brumaire, s’était élevé par bonds quotidiens de quinze à vingt francs, oscillait autour de ce dernier chiffre. Observant ces symptômes, remarquant une lassitude générale du provisoire, Bonaparte voulait donner le plus tôt possible l’impression du définitif ; ce fut l’une des raisons qui le déterminèrent à brusquer l’œuvre constituante.

Ce n’est pas ici le lieu de rappeler longuement quel était le projet de constitution et les débats auxquels il donna lieu, entre les Consuls et dans les commissions. Sieyès avait imaginé le plus formidable instrument de conservation qui pût exister au profit d’un parti. Depuis cinq ans, le parti des anciens conventionnels et de leurs adhérens détenait la France, se prolongeait au pouvoir par tyrannique survivance, par usurpation permanente sur la souveraineté nationale. En l’an III, ces hommes avaient faussé les élections, en imposant arbitrairement au choix du peuple les