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trouvé en présence d’un dénouement très différent de celui qu’on avait annoncé et désiré. La compagnie devait accepter toutes les exigences des ouvriers et les reprendre tous sans exception : elle ne faisait ni l’un ni l’autre. Le syndicat n’a pas perdu courage. Il s’est efforcé de persuader quand même aux ouvriers qu’ils venaient de remporter un grand succès. Il a fait retentir de nouveau à leurs oreilles les paroles sonores, mais creuses, dont il les avait si longtemps bercés et bernés. M. Maxence Roldes, l’orateur le plus ardent et le plus écouté de la grève, malade d’abord et sans voix, a retrouvé enfin ses moyens oratoires et s’est écrié : « Camarades, vous avez enfin la victoire : avec vous et par vous, le syndicat triomphe, et, quand vous reprendrez le travail, vous pourrez dire que vous avez conquis le maximum de justice compatible avec le capitalisme. Sans vouloir parler de la situation qui demain peut-être va se produire, on peut bien constater que, sous la menace de l’exode et de la grève générale, sous la pression de la peur, le gouvernement a enfin renoncé aux offres ridicules qu’il vous avait faites, pour vous en présenter de plus sérieuses. Certes, aucun de nous n’a qualité pour les apprécier ; mais, à l’heure actuelle où l’horizon parait s’éclaircir, nous avons le droit d’évoquer la reprise du travail. Et vous ne rentrerez pas la tête basse, pour vous remettre au cou le carcan de la servitude. Non ; vous reviendrez à la mine comme tout à l’heure encore vous veniez à votre manifestation, c’est-à-dire tous unis, forts et superbes, au chant de l’Internationale et de la Carmagnole. » Les ouvriers ont écouté tristement cette harangue, croyant rêver. Vous reviendrez à la mine tous et unis, leur disait-on, et ils savaient qu’au contraire ils n’y reviendraient pas tous ; qu’ils ne resteraient pas unis ; que quelques-uns devraient partir. Il y avait un tel écart entre les paroles et les faits qu’un contraste aussi violent était pour eux une souffrance amère. Le syndicat se disait satisfait ; eux-mêmes ne l’étaient pas. Le syndicat chantait victoire ; ils ne voyaient, eux, que la déroute. Les offres du gouvernement ! sur le premier moment, ils ont répondu à l’unanimité qu’ils ne les accepteraient pas. Plusieurs d’entre eux appartiennent, faut-il le dire ? à la classe des propriétaires. Ils ont à Montceau des maisons qui leur appartiennent : comment les quitter ? De plus, les familles allaient être divisées, le père devant partir alors que les enfans resteraient, à moins que ce ne fût le contraire. Situation douloureuse, à coup sûr : on comprend que les discours de M. Maxence Roldes, quelque éloquens qu’ils aient pu être, n’aient pas suffi à masquer ce qu’elle avait à la fois de pénible et de déconcertant. Aussi les