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Chaque ouvrier enfermera le sien dans une enveloppe cachetée, précaution indispensable, bien qu’elle ne soit peut-être pas suffisante pour garantir la sincérité de son vote.

Ici, une observation se présente à l’esprit. Jusqu’à ces derniers temps, les ouvriers s’étaient contentés d’adresser leurs revendications à leurs patrons. Le contrat de travail se débattait entre l’employeur et l’employé, et le rôle du gouvernement, aussi bien que son devoir, se bornait à assurer la liberté de l’un et de l’autre, à maintenir l’ordre s’il venait à être menacé, à le rétablir s’il était troublé. Rien de plus conforme aux principes. Peu à peu le gouvernement s’est laissé entraîner à intervenir entre les patrons et les ouvriers. Il l’a fait beaucoup par faiblesse, et un peu aussi, nous voulons le croire, par humanité. Il a cru pouvoir, grâce à l’autorité dont il dispose, rendre plus faciles les rapports entre les deux parties, et plus rapide l’entente qui devait finalement les rapprocher. Il a d’abord agi avec discrétion ; puis avec moins de réserve ; enfin avec une telle imprudence qu’il est devenu l’intermédiaire habituel de ces conflits auxquels il devait s’intéresser sans doute, mais rester officiellement étranger. Il ne l’est plus aujourd’hui ; de mauvaises habitudes ont été prises ; la juste mesure a été dépassée ; et les ouvriers, trouvant toujours le gouvernement entre le patron et eux, ont fini par perdre de vue le patron, pour ne plus voir que le gouvernement. Il est convenu que celui-ci peut tout, et qu’il a les moyens de tout imposer. Il est la providence faite homme, et les ouvriers le traitent volontiers comme le païen de la fable traitait l’idole longtemps sourde à ses prières, qu’il brisait de colère pour la punir de ne l’avoir pas exaucé. Si on n’en est pas encore tout à fait là, c’est que les ouvriers sont convaincus que le gouvernement est avec eux et pour eux ; mais que, timide, hésitant, embarrassé, il a besoin d’être encouragé, violenté, un peu maltraité et houspillé même, pour se décider à ouvrir toute large la main d’où doit tomber une manne abondante. En conséquence, qu’arrive-t-il ? Les ouvriers, au lieu d’adresser comme autrefois leurs revendications à leurs patrons, les adressent au ministère, et ils adoptent volontiers avec lui le ton de maître à valet.

Veulent-ils, par exemple, que la grève de Montceau-les-Mines prenne fin ? Ce n’est plus au directeur de la mine qu’ils en ont, mais au ministre de l’Intérieur. Il faut que celui-ci trouve un moyen de réduire la résistance du patron, n’importe lequel, c’est son affaire. Combien de temps lui faut-il pour cela ? On ne le lui demande pas, on le décide souverainement : ce sera quinze jours. Et si, dans quinze