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qui leur a fait, avec son flegme habituel, une espèce de cours d’économie politique sur les rapports nécessaires des ouvriers et des patrons, en leur assurant qu’il n’y pouvait rien changer. Ce n’était pas tout à fait ce qu’ils espéraient de lui. En revanche, M. le président du Conseil s’est montré prodigue de promesses en ce qui concerne les projets de loi destinés à améliorer le sort des ouvriers. La journée de huit heures, la caisse des retraites ouvrières, etc., devaient être à la Chambre l’objet de discussions prochaines, dont on pouvait, avec un peu d’imagination, escompter déjà le résultat. Les délégués n’ont pas dit ce qu’ils en pensaient ; mais ils ont conseillé aux grévistes le calme de la force et la confiance du bon droit, en leur donnant d’ailleurs l’assurance qu’un nouveau congrès, interprète fidèle des résolutions irrévocablement prises à Saint-Étienne et qu’il ne s’agissait plus que d’appliquer, poserait bientôt à la société bourgeoise et au gouvernement qui la représente un ultimatum définitif. Encore quelques semaines de patience, et ils auraient gain de cause. Le succès final ne pouvait leur échapper.

Un nouveau congrès s’est donc réuni à Lens, le 11 avril, et tous les yeux se sont tournés de ce côté comme s’il devait en venir une lumière éclatante. Cependant, un symptôme significatif pouvait déjà en faire douter. La presse socialiste ministérielle disait très peu de chose de ce congrès ; le mot d’ordre paraissait être de faire le silence autour de lui, comme s’il ne fallait pas en attendre un bien grand résultat. Et, en effet, il ne fallait en attendre rien du tout, sauf la promesse éventuelle du référendum. Jules Ferry a parlé autrefois des « radicaux de gouvernement, » expression qui avait alors soulevé quelque scandale : depuis, nous avons fait du chemin, et nous avons désormais des socialistes de gouvernement, dociles, empressés, prêts à rendre service aux autorités constituées, merveilleusement dressés et domestiqués. Il ne faut pas s’en plaindre, bien au contraire : les socialistes de ce modern style, un peu désabusés des théories et pour leur compte personnel à demi satisfaits, peuvent être utiles et ne demandent qu’à l’être ; mais ils jouent terriblement avec le feu, et le gouvernement y joue avec eux. Le congrès de Lens leur a appartenu ; ils en ont fait leur chose, et l’ont escamoté avec une habileté et une prestesse qui prouvent qu’ils n’ont pas perdu leur temps dans les assemblées parlementaires. Ils s’en sont merveilleusement assimilé tous les procédés. MM. Basly et Lamendin sont devenus des tacticiens fort adroits. Ils ne manquent d’ailleurs ni d’intelligence, ni de bon sens ; leur horizon intellectuel s’est développé à mesure que, sortis de la