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remettent à l’œuvre. Sur le pourtour oriental de l’enceinte, Paris est littéralement investi de ces hordes, de ces campemens de nomades et de barbares. On évalue le nombre des fraudeurs à plus de dix mille, « tous armés, courageux, commandés par des chefs hardis et entreprenans : on les dit ennemis prononcés du gouvernement. On compte environ 2 500 fraudeurs, du port de la Râpée à la Villette ; leurs chefs ont des habitations dehors et non loin des murs, ils y tiennent des magasins considérables… Plusieurs de ces hommes qui sont à la tête des fraudeurs se sont flattés que, s’il y avait un mouvement, ils sauraient diriger et conduire tous leurs subalternes[1]… Il est instant de prendre des mesures, sans quoi bientôt l’impôt sera réduit absolument à rien, et les fraudeurs devenus si nombreux qu’ils pourraient occasionner de grands troubles et servir aux factieux[2]. » Cette armée du brigandage pourrait au besoin se transformer en armée de l’émeute.


II

Par quel bout prendre cet amas d’immondices pour le pousser à l’égout ou le dissoudre et nettoyer Paris ? La police du Consulat hésitait à entreprendre et d’ailleurs manquait des moyens nécessaires. L’armée se montrait peu propre aux besognes de vigilance intérieure et d’épuration ; la garde nationale témoignait d’une négligence déplorable ; parmi les gardes nationaux, deux sur cinq se faisaient remplacer dans leur service par des hommes recrutés à prix d’argent et peu sûrs ; cinq brigades de gendarmerie, casernées au Temple, ne fournissaient qu’un renfort insuffisant. On se plaignait généralement qu’il n’y eût point une véritable troupe de police, un corps soldé, une garde urbaine, apte à surveiller Paris et à fouiller ses profondeurs : « Il faut, disaient les journaux, des individus qui connaissent Paris jusque dans ses détails les plus honteux et les plus minutieux. » Rien que pour contenir l’audace des fraudeurs, les autorités signalent « la nécessité d’une force armée toujours active et dont l’institution n’aura que ce seul et unique objet[3]. »

  1. Rapport de police du 15 thermidor an VIII, Archives nationales, AF, IV, 1329.
  2. Rapport du 13 thermidor.
  3. Rapport du 15 thermidor.