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Que d’autres élémens impurs, interlopes, dangereux, pullulent dans Paris ; beaucoup de réfugiés italiens, des révolutionnaires d’outre-monts chassés de chez eux par les victoires de Souvarof et la chute des républiques cisalpines, cherchant dans Paris un asile et du pain, toujours prêts à jouer du couteau et à prêter main-forte aux perturbateurs, une colonie de dangereux étrangers, l’un des élémens de désordre qui préoccupent le plus les Consuls ; des réfugiés irlandais, des Bretons, des Vendéens fuyant la désolation de leur pays, des voleurs de grands chemins et des chauffeurs du Midi qui ont renoncé au métier, qui se sont jetés dans ce grand Paris où tout s’absorbe et se perd ; un tel nombre de réfractaires à la conscription que la police directoriale devait à chaque instant cerner le Palais-Royal, le bois de Boulogne ou d’autres endroits publics, pour faire rafle d’insoumis. Autour de la porte Martin, des groupes d’ouvriers sans travail stationnent journellement, anxieux et hagards ; dans les faubourgs, le dépérissement de la grande industrie est si profond qu’en nivôse la police signalera, comme fait consolant, un rappel d’ouvriers dans une manufacture.

Pour avoir de quoi vivre, les faubourgs ne recourent plus aux émeutes, aux descentes tumultueuses et hurlantes, mais beaucoup d’ouvriers se jettent aux métiers inavouables et s’enrôlent dans les bandes employées à frauder les droits d’entrée. La fraude se fait en grand ; c’est l’une des principales industries de la population parisienne ; elle a son organisation, ses chefs, son armée, perfectionne ses procédés, pousse contre Paris des travaux d’approche et de cheminement. Des conduits souterrains, de mystérieuses rigoles, partant de la banlieue, s’emplissent de vins et de spiritueux, passent sous le mur d’enceinte et aboutissent à l’intérieur dans des maisons complices. Des bourgeois d’aspect honorable et posé prennent intérêt dans cette industrie et la commanditent. La fraude se fait aussi à main armée, par effractions violentes, par irruptions nocturnes ; aux barrières, de véritables combats se livrent entre gardes et fraudeurs, et ceux-ci ont souvent le dessus.

Pendant plusieurs mois, ce désordre ne fera que s’accroître. Les fraudeurs enrégimentés se dispersent le jour dans les villages suburbains, dans les terrains vagues, préparent leurs coups, menacent de mort les habitans qui oseraient s’opposer à leurs entreprises nocturnes ou les dénoncer. La nuit venue, ils se