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celle de Pascal. Les deux ouvrages ne se ressemblent pas pour la composition. Le traité de Spinoza est œuvre de raison sereine ; il est fait, presque sans art, de documens soigneusement vérifiés, de matériaux éprouvés, pris même à des adversaires[1], de raisonnemens, trop appuyés parfois, mais exposés en toute probité,

de développemens sommaires, impersonnels, où la force de la pensée se retient toujours de jaillir en éloquence. Les notes de Pascal se rapportent bien plus à l’effet qu’elles doivent produire ; les matériaux sont moins sûrs, la mise en valeur plus grande. La préparation du cœur, l’appel aux sentimens intéressés, la mise à profit de nos doutes, rien n’est négligé. C’est une œuvre, de quelque faveur qu’elle soit auprès des philosophes, aussi oratoire que philosophique. Elle est inquiétante, persuasive. L’apologie de Spinoza est rude, franche, évidente. — L’une et l’autre diffèrent aussi pour le but qu’elles se proposent. Spinoza veut « raffermir la religion en montrant qu’elle n’a nul besoin des vaines parures de la superstition ; » il fait la réglementation de frontière entre la foi et la philosophie. Pascal tente proprement la conversion de son lecteur. — Mais, sous ces oppositions, on sent dans les deux livres l’accent de deux âmes qui s’accordent. Le fond des pensées est bien près d’être le même. Pour Spinoza et pour Pascal, la religion est une vie plus qu’une croyance intellectuelle. Aux mêmes obstacles, ils opposent le même principe : l’âme avant tout !

Spinoza fut-il chrétien ? Les témoignages extérieurs ne sont pas concordans. La réponse terrible à la provocation d’Albert Burgh, pour l’attirer au catholicisme[2], permet d’affirmer que non. C’est un chef-d’œuvre de polémique serrée, où chaque mot porte ; c’est une « Provinciale. » Mais la pensée est moins large que dans le Traité de Théologie ; elle est subordonnée visiblement à des argumens de combat. « Comment savez-vous, dit Spinoza, que votre religion est la meilleure de toutes ? L’examen peut-il être jamais considéré comme achevé ? Seul, le vrai évident échappe à l’hésitation infinie. » Mais le Traité de Théologie

  1. Spinoza fait des emprunts textuels à Meyer (Van Vlot., in-12, II, p. 186-8) ; p. 157-9, des emprunts textuels à Maimonide (More Neb. II, 28-29, cité par Joël Sp. Th.-pol. Tr. Breslau, 1870.
  2. Lettre 76.