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III

Ce n’est pas seulement dans la question préliminaire de la critique des textes qu’une saine méthode doit faire l’accord des esprits ; c’est dans les questions mêmes qui semblent les diviser irrémédiablement : celle de la révélation et celle des miracles. Ce sont les questions graves, et, chose étrange, ce sont celles qu’on abandonne généralement à la croyance arbitraire ou aux négations a priori. Il faut oser leur appliquer la vraie méthode[1].

Renonçons à toute idée préconçue. Recherchons, non pas ce que nous entendons, mais ce que la Bible entend, par la révélation. Bien des contresens seront d’abord évités, si on prend garde à un trait de la psychologie du Juif. Le Juif ne connaît pas de causes moyennes ; il recourt toujours à Dieu. Le gain qu’il fait dans son commerce est un présent de Dieu ; s’il éprouve un désir, c’est Dieu qui y dispose son cœur ; s’il conçoit une idée, c’est Dieu qui lui a parlé. L’expression « de Dieu » ne marque souvent dans sa langue qu’un haut degré d’excellence. Dans la Bible, des « montagnes de Dieu » sont de très hautes montagnes, un « sommeil de Dieu » est un sommeil très profond. Les Psaumes parlent de « cèdres de Dieu » pour en exprimer la prodigieuse hauteur. Dans la Genèse, des hommes de grande force et de haute stature sont appelés « fils de Dieu, » quoique impies, brigands et libertins. Les miracles sont appelés « ouvrages de Dieu, » c’est-à-dire choses très merveilleuses. La science purement naturelle de Salomon est appelée « science de Dieu, » c’est-à-dire science extraordinaire. Par conséquent, dans la Bible, les expressions : « l’esprit de Dieu » a été donné à tel prophète ; tel prophète est rempli de « l’esprit de Dieu, » du « Saint-Esprit, » signifient souvent qu’on trouve à ce prophète une intelligence ou une vertu singulière, au-dessus du commun. Il n’y a qu’un petit nombre de cas où il soit indiqué formellement par là qu’il percevait la volonté ou les desseins de Dieu.

La prétendue élection des Hébreux n’est aussi qu’une figure de langage. Pour exprimer la sagesse de Salomon, on dit : « Nul ne sera aussi sage que lui. » De même, les Juifs ont

  1. L’ordre des « dissertations » est embrouillé, ce qui atténue la portée des idées. Voici l’ordre que je suis dans mon exposé : 1o ch. VII-X ; 2o ch. I-III, VI, XI ; 3o ch. IV-V, XII-XV.